« Marianne » publie en exclusivité avec le site Caradisiac le rapport confidentiel de l’Inspection générale des finances (IGF) qui montre comment Emmanuel Macron et Élisabeth Borne, alors respectivement ministre de l’Économie et directrice de cabinet de la ministre de l’Écologie, ont organisé, sinon accepté, la perception de superprofits par les sociétés d’autoroutes.
L’État aurait sciemment organisé, sinon accepté, l’encaissement de surprofits par les sociétés d’autoroutes : tel est l’un des principaux enseignements du rapport confidentiel rendu en février 2021 par l’Inspection générale des Finances (IGF) et le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD). Un document dont nos confrères du Canard enchaîné ont déjà dévoilé certains aspects et que Marianne publie dans son intégralité en exclusivité avec le site Caradisiac.com.
Exclusif
Découvrez le rapport secret sur les sociétés d’autoroute qui confirme leur surrentabilité
Alors que les ministres des Finances Bruno Le Maire et des transports Clément Beaune doivent être auditionnés ce mercredi 22 mars par la Commission des finances et la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale, Marianne souhaite permettre aux parlementaires et plus largement à tous les citoyens de s’emparer de ce document explosif.
Bruno le Maire a voulu cacher un rapport accablant de l’Inspection Générale des Finances (IGF) de février 2021, sur les profits abusifs des sociétés concessionnaires d’autoroutes. pic.twitter.com/YivjqH00s8
— N. Dupont-Aignan (@dupontaignan) March 22, 2023
À en croire Bruno Le Maire, cette partie du rapport constituerait « le mémoire en défense » du gouvernement qu’il ne faudrait pas dévoiler aux sociétés concessionnaires…
Une surrentabilité confirmée
Bien sûr, on en connaît déjà les grandes lignes grâce au Canard enchaîné qui a révélé fin janvier l’existence de ce rapport secret, établi par les inspections de contrôle des ministères des Finances et de l’Ecologie dont dépend les Transports, c’est-à-dire respectivement l’Inspection générale des Finances (IGF) et le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD).
Mais le détail vaut le détour pour tous ceux qui s’intéressent à la question !
Rappelons d’abord que le rapport « met en évidence une rentabilité très supérieure à l’attendu pour ASF-Escota et APRR-Area », soit pour les groupes Vinci et Eiffage, contrairement à Abertis pour Sanef-SAPN.
Il confirme en fait les ordres de grandeur annoncés quelques semaines plus tôt en 2020 par une commission d’enquête du Sénat, qui avait procédé à une analyse financière de ces mêmes SCA, avec l’appui d’un expert financier indépendant, Frédéric Fortin.
Il révèle surtout la rentabilité visée au moment de la privatisation de 2006. En l’occurrence 7,67 %, soit un objectif largement dépassé.
Dans ce rapport de février 2021, le taux de rentabilité interne (TRI) dit actionnaire est en effet calculé à 11,77 % pour les concessions de Vinci, et 12,49 % pour celles d’Eiffage. Ce qui est tout simplement énorme !
Très vite, le TRI se serait amélioré par rapport à la prévision, avec « la baisse des taux d’intérêt entre 2006 (de 5 à 6 %) et 2020 (moins de 2 %) », et grâce à l’optimisation financière, autrement appelée dans le rapport « bilancielle (leveraging) ».
« Le fait que ces opérations [d’optimisation] n’aient pas été anticipées lors de la privatisation peut poser question », relève-t-il d’ailleurs.
Si ces flux avaient été mieux anticipés, alors le prix d’acquisition de ces sociétés aurait pu être plus élevé de près de 6 milliards d’euros, avance également le rapport, tout en appelant à la prudence avec ce « calcul très hypothétique ».
Une surrentabilité surtout anormale à enrayer
Le point crucial développé dans le document, c’est qu’un tel niveau de TRI et un tel décalage par rapport à celui qui était envisagé, ce n’est pas normal.
Car le « principe de rémunération raisonnable » n’est dès lors pas respecté. Trois options sont ainsi avancées « pour réaligner la rentabilité » sur le niveau « ciblé » :
« un raccourcissement de la durée de concession », avec une fin programmée pour 2026, au lieu de 2036 et 2031, pour ASF et Escota, puis 2036 et 2035 pour APRR et Area, soit une réduction de 5 et demi à 10 ans selon les concessions ;
« une diminution des péages effectuée une fois pour toutes en 2022 », de près de 60 %, ce qui correspondrait à « une économie de 21 € environ sur un trajet Marseille-Toulouse ou Paris-Lyon » ;
« un prélèvement sur l’excédent brut d’exploitation (EBE) de 2021 jusqu’à la fin des concessions : il devrait être de 63 % de l’EBE pour ASF-Escota et 64 % pour APRR-Area. »
Ceci étant dit, de l’aveu même des auteurs du rapport, seule la première option serait valable d’un point de juridique « au titre de la ‘jurisprudence Olivet’ du Conseil d’État » du 8 avril 2009.
Il s’agirait d’une rupture anticipée des contrats pour motif d’intérêt général, compte tenu de cette rentabilité excessive.
Pour faire simple, ces contrats de concession, une fois leurs objectifs de rentabilité atteints, devraient en fait être rompus, comme ont pu l’expliquer des professeurs de droit public au colloque organisé au Sénat sur le sujet, fin février 2022.
C’est d’ailleurs pour cette raison aussi que l’un des organisateurs de ce colloque, le sénateur centriste Vincent Delahaye, rapporteur de la commission d’enquête de 2020, a appelé la semaine dernière à résilier ces mêmes contrats de manière anticipée.
Pour ce qui le concerne, la résiliation pourrait même intervenir dès cet été pour Vinci et dès la fin 2024 pour Eiffage.
Des craintes pour la fin des concessions
Au fil des pages de ce rapport de 2021, l’État, comme souvent, ne brille pas par ses talents de fin négociateur par rapport aux concessionnaires.
À titre d’exemple, en 2016, des négociations auraient abouti à retenir un TRI cible de l’ordre de 8 %, en sachant que ces investissements allaient être « financés par de la dette (et non par un nouvel apport de fonds propres) » alors que « la logique économique » aurait dû le fixer à environ… 2 % ! C’est sûr que dans ces conditions, les SCA ne peuvent qu’en profiter.
Ce déséquilibre persistant dans les relations de l’État concédant avec les sociétés concessionnaires n’est pas de nature à nous rassurer, face à l’échéance des fins de contrat et la nécessité de gérer les biens de retour.
Alors que leur remise en état « pourrait nécessiter dans les dernières années des concessions un effort d’investissement important », il semble que celui-ci soit déjà annoncé en fort déclin pour les années après 2027.
Pour maintenir la pression et négocier au mieux, l’une des préconisations du rapport c’est en tout cas que l’État soir capable de « suivre finement la rentabilité des concessions ».
Et dans ce cadre, il n’y aurait pas photo : le TRI actionnaire, soit l’estimation des dividendes versés aux actionnaires jusqu’à la fin de la vie des concessions, est « un indicateur plus fiable que le TRI projet ».
Bientôt un changement de méthode à l’ART ?
La lecture de ce rapport fera-t-il alors changer de doctrine l’Autorité de régulation des Transports (ART), le régulateur du secteur, qui travaille uniquement sur la base de TRI projet ?
Ce ne serait peut-être pas du luxe, vu le contexte et le besoin de clarification. Car les deux méthodes sont loin de donner des résultats semblables…
Le TRI projet, calculé par l’ART en 2020 puis de nouveau cette année, est ainsi donné à près de 8 %. Soit à ce qu’il paraît une rentabilité « favorable mais modérée », et particulièrement éloignée de l’image écœurante renvoyée par un TRI actionnaire à quelque 12 % !
Pour Pierre Coppey, le patron de Vinci Autoroutes, interrogé le 14 mars dans Le Parisien, cela tombe très bien : ce TRI projet est pour lui la preuve que tout va pour le mieux et qu’il « faut arrêter de raconter n’importe quoi »…
« Il n’y a pas de superprofits », puisque même l’ART, « après examen détaillé et approfondi, dit que le sujet de la rentabilité des concessions n’existe pas » et qu’elle est « conforme aux prévisions ! »
Il oublie simplement de préciser que les calculs de TRI projet versus actionnaire ne portent pas tout à fait sur la même chose, le premier s’intéressant notamment à toute la durée de la concession, dont le point de départ remonte à bien avant la privatisation.
L’autre bonne nouvelle pour les usagers, c’est que Vinci, malgré le contexte inflationniste et cette rentabilité discutable, ne compte pas suspendre les hausses tarifaires aux péages.
« Le seul fait de supprimer l’indexation des tarifs sur l’inflation ne suffit pas à rétablir une rentabilité de 7,67 % », précise de toute façon le rapport de l’IGF et du CGEDD.
Selon leurs calculs, la « rentabilité actionnaire » passerait simplement de 11,77 à 11,42 % pour ASF-Escota, et de 12,49 à 12,11 % pour APRR-Area… Et ça, ce serait déjà vraiment trop pour Monsieur Coppey.
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