Avant d’être une idéologie totalitaire, théocratique et prosélyte, l’islamisme est d’abord une question de business et d’affairisme véreux.
Philosophe et directeur du Centre International de Géopolitique International et de Prospective Analytique (CIGPA) le diplomate tunisien démissionaire Mezri Haddad commente l’affairisme véreux du Qatar et des politiques français.
Il y a les aphorismes de Sénèque, les pensées de Pascal, les essais de Montaigne, les propos d’Alain…et les adages de Séguéla ! Parmi les plus célèbres, cette perle relative à l’ancien héritier sans héritage du gaullisme, Nicolas Sarkozy : »Si, à cinquante ans, on n’a pas une Rolex, on a quand même raté sa vie ». De quoi motiver certains ambassadeurs qataris, susciter certaines vocations et donner des envies suicidaires à 95% de la population française, y compris les philosophes, les polytechniciens, les universitaires et les professeurs de médecine qui ne portent pas de Rolex! Mais pas à un certain nombre de ministres, de députés et de sénateurs qui ont bien retenu la leçon hédoniste du philosophe Jacques Séguéla
A en croire les révélations nauséabondes de Christian Chesnot et Georges Malbrunot dans leur dernier livre Nos très chers émirs, il y aurait des ministres, des députés et des sénateurs qui ont réussi leur vie plusieurs fois ! Plus exactement tous les ans, lorsqu’ils recevaient notamment une Rolex des mains de l’ancien ambassadeur du Qatar en France, Mohamed Al-Kuwari, qui a passé dix années à Paris (2003-2013) à distribuer cadeaux onéreux, enveloppes et « bons d’achats dans les grands magasins » à des élus et à des ministres qui étaient vraiment dans le besoin. Nommé depuis 2013 ambassadeur aux Etats-Unis, cet orfèvre de la diplomatie du carnet de chèque aurait corrompu plusieurs figures de l’élite républicaine, et pas seulement celles que les auteurs livrent en pâture dans leur réquisitoire !
Bien des noms « illustres » de la classe politique de gauche comme de droite, qui broutaient dans les mains du diplomate bédouin, sont en effet épargnés par les auteurs faute de preuves. Et qui aurait fourni les preuves accablantes si ce n’est le nouvel ambassadeur de l’émirat islamo-mafieux, nommé en France en 2013 pour y faire le grand nettoyage au Karcher et donner une meilleure image de son pays désormais gouverné par le jeune émir Tamim, un réformateur, qui « se veut prudent dans sa politique tant extérieure qu’intérieure ». D’où le dosage bien méticuleux des noms qu’il faut sacrifier parce qu’ils ne sont plus utiles à la propagande qatarie, et ceux qu’il faut préserver et occulter parce qu’ils peuvent encore servir dans l’avenir la « démocratie » qatarie. On coupe les branches mortes et on épargne le tronc et les jeunes pousses.
Ce n’est peut-être pas leur objectif premier, mais le brulot de Christian Chesnot et Georges Malbrunot, édité chez le même éditeur que Qatar-France. Une décennie de diplomatie culturelle, 2003-2013 ( !), ressemble fort bien à une tentative de restauration et de rénovation de l’édifice qatari, un régime oligarchique islamo-mafieux, qui a gangréné la France par l’argent… et par l’islamisme « modéré », et dont l’image en France ainsi que dans le monde n’est plus aussi phosphorescente qu’auparavant. A moins que la politique du jeune Tamim soit désormais effectivement et authentiquement aux antipodes de la politicaillerie nuisible et destructrice qui a été menée durant dix sept ans par les deux Hamad, son père Ben Khalifa al-Thani et son oncle Ben Jassem, l’intarissable financier des Frères musulmans et le pourvoyeur de fonds des islamo-terroristes « modérés » en Syrie, en Irak, au Maghreb, en Afrique et peut-être même en Europe !
Que le fils de son père et de sa mère Mozza ait changé, c’est tout à son honneur et c’est après tout tout à fait possible et souhaitable. C’est du moins ce que laisse entendre son cousin et ambassadeur en France, Meshaal al-Thani, qui a été nommé depuis septembre 2016 ambassadeur du Qatar aux Etats-Unis, le pays de l’Ethique protestante et de l’esprit du capitalisme ! Selon ce qatari dont la fin de mission diplomatique en France coïncide étrangement avec la sortie du livre Nos très chers émirs : « Je n’ai jamais vu cela auparavant ! J’ai fréquenté des politiques partout ; mais aucun ne s’est comporté comme certains Français, aucun ne m’a demandé de l’argent aussi abruptement, comme si c’était naturel, comme si on leur devait quelque chose ! On n’est pas une banque…On me demande à Doha de lutter contre la corruption, je ne suis pas là pour régaler les hommes politiques français… », qui prennent l’ambassade pour un « distributeur de billets de 500 euros ».
Et il s’en lava les mains tel Ponce Pilate ! Si les serviles serviteurs du Qatar, aujourd’hui lâchés par la mère nourricière, avaient lu un tant soi peu Ibn Khaldûn, ils auraient été un peu plus prudents dans leur relation pécuniaire et épicurienne avec les bédouins de Doha. Le grand précurseur du matérialisme historique et de la sociologie politique avait écrit des pages exquises sur la « fidélité » et la « loyauté » des bédouins du Machrek et du Maghreb.
Ainsi, ce n’est plus le péché originel des corrupteurs qui ont pourris la politique, la religion, la diplomatie, la culture et le football par leur pétrodollars, qui est dénoncé, mais la faute aux corrompus dont la prévarication boulimique n’a d’égale que leurs interminables homélies dédiées à la démocratie et leurs odes à la gloire des droits de l’homme… blanc, chez l’Arabes et chez l’Africain. Au pays des Lumières et des valeurs universelles, seules les valeurs boursières semblent avoir survécues…chez les « rolexés »!
Pecunia non olet disait l’empereur romain Vespasien. Si l’argent en général n’a pas d’odeur, celui du Qatar en avait une qui était particulièrement pestilentielle. Et si l’étendue de la prévarication se limitait uniquement à certains élus et ministres de gauche comme de droite, dont le Qatar a balancé les noms, le mal ne serait pas si grand. La corruption en général et pas seulement celle qui émanait du Qatar, a touché indistinctement certains droit-de-l’hommistes, certains avocats, chercheurs et ramasseurs des biens dits mal acquis des autocrates arabes et africains, certains hauts fonctionnaires du Comité olympique, certains écrivassiers, et certaines brebis galeuses de la corporation journalistique, notamment celle qu’on avait prise la main dans la maroquinerie marocaine et qui est devenue depuis la conseillère en communication de l’homme fort de Tripoli, Abdelhakim Belhadj, un ancien d’Al-Qaïda reconverti dans l’islamisme « modéré » et dans l’affairisme outrancier !
C’est qu’avant d’être une idéologie totalitaire, théocratique et prosélyte, l’islamisme est d’abord une question de business et d’affairisme véreux. Bien plus grave que les Rolex, les enveloppes, les billets d’avion et les bons d’achats distribués à gauche et à droite, le livre de Chesnot et Malbrunot évoque aussi le financement des mosquées en France et la concurrence pour le contrôle de l’Islam au pays de Voltaire, entre deux frères ennemis, le Qatar et les Emirats Arabes Unis. Le premier pays investissant dans le salafisme et dans la secte des Frères musulmans, et le second pays, dans un Islam quiétiste et compatible avec les valeurs de la République. Signe qui ne trompe pas et qui accrédite la thèse des auteurs suivant laquelle le Qatar a vraiment changé : l’Observatoire de Nabil Ennasri, caisse de résonnance de Qaradaoui et de Tariq Ramadan en France, n’est plus en odeur de sainteté chez les qataris. Taquiya (duplicité), un art dans lequel les Frères musulmans excellent, ou changement idéologique et stratégique réel?
Nos très chers émirs, est un livre qui lève un coin du voile (islamique) sur les turpitudes de l’émirat gazier et la concussion de certains hommes et certaines femmes politiques. Il confirme aussi un trait ontologique au système démocratique, ce qui constitue même son principal talon d’Achille, à savoir la corruption. « Tout ce qui naît est soumis à corruption » disait Platon, pour lequel la démocratie est le pire des régimes politiques précisément parce qu’il est, selon le disciple de Socrate, le régime le plus licencieux et le plus corrompu.
Dans les cercles mondains et diplomatiques, on raconte cette anecdote sur les ambassadeurs : la première année de sa nomination, un ambassadeur travaille pour son pays, la seconde année pour le pays d’accueil, et les années qui suivent, pour son propre intérêt. Je termine par cette anecdote car l’ambassadeur au chômage que j’étais devenu après ma démission le 13 janvier 2011 a rencontré Mohamed Al-Kuwari, le philanthrope du microcosme parisien. « Le régime tunisien, c’est terminé. Pensez maintenant à votre avenir ; j’ai demandé à vous voir pour vous tendre la main », m’avait-il dit un samedi de mai 2012. L’auteur de ces lignes a résisté à la tentation bédouine, non guère parce qu’il était plus vertueux que certains ministres ou députés Français, mais parce qu’il n’était ni de gauche ni de droite mais de Tunisie, et qu’il fut naguère l’ambassadeur d’un Etat qui n’était pas du tout démocratique !
Non ?!!…sans blague ?!……