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Rappelez vous de cette femme voilée obligée d’ôter son voile par les policiers municipaux sur la plage de Nice suite aux arrêtés anti-burkini, les photos qui ont fait le tour du monde semblaient trop parfaites. Et si il s’agissait d’un scoop organisé par un photographe voulant surfer sur l’actualité ?
Jean-Paul Ney a mené l’enquête sur un scoop bien trop parfait pour être vrai…
En effet, plusieurs indices ont laissé un arrière gout d’un scoop organisé, voire provoqué, après publications des photos: la femme voilée était seule assise sur la plage, sans aucun sac ni serviette de bain, elle semblait attendre quelque chose.
Par ailleurs, les photographies étaient prises par un professionnel qui comme par hasard était sur place avant l’incident puisque l’on voit les policiers s’approcher de la femme voilée. La femme semble également regarder dans la direction du photographe…
Suffisamment d’interrogation pour mener l’enquête.
Selon Jean-Paul Ney :
BurkiNice, un buzz provoqué ?
« La différence entre un reportage et un scoop est que le scoop a plus de chances d’être provoqué le plus souvent du temps » raconte un vieux loup paparazzo qui a roulé sa bosse dans les plus grosses agences parisiennes. Lui aussi été perturbé par le sentiment que provoquait en lui cette photo où l’on voit les policiers municipaux verbaliser la femme voilée sur la plage de Nice. Mais très rapidement son expérience censure ses sentiments et connecte la scène aux faits : « attends, des coups comme ça j’en ai fait des dizaines, on a une info, on planque et on appelle les flics nous-mêmes, sur du gros voyou ou du braquo par exemple. Je rentrais dans l’immeuble d’en face, je filais un bifton à la veille dame et je planquais depuis sa fenêtre, ni vu ni connu. La chance j’y crois pas, il faut la provoquer » dit le vieux loup en rigolant bien fort « ça pue la manip, pas de l’agence, mais du photographe lui-même, d’ailleurs qui va contrôler le scoop ? Qui va aller vérifier ? Personne, tu sais très bien comment ça marche chez nous. »
Pour Jean-Claude Elfassi, l’un des plus célèbres photographes et ex paparazzo de la place, le doute est permis et nous devons nous poser des questions légitimes voire demander des explications à certains paparazzi : « Je plaide coupable, j’ai déjà moi-même téléphoné aux flics alors que j’étais en planque, une fois tout le monde dans le cadre je shoote ! Mais on ne fabrique pas une fausse info, on provoque de manière à ne pas perdre inutilement du temps à planquer ».
Un troisième larron et quelques mojitos plus tard j’obtiens une méthode « le buzz existait avant Internet et bien avant les réseaux sociaux, maintenant c’est encore plus facile : il faut repérer le sujet de société, se concentrer quelques jours dessus et sur zone, la jouer seul sans en parler aux confrères photographes même si c’est pas ton territoire et se fondre dans l’environnement. Tu travailles sur le sujet et si ça ne vient pas, alors fais en sorte que ça vienne ! Tu sais c’est de la chasse, on chasse et parfois on provoque le scoop, c’est la dure loi économique de ce métier, moi j’ai pris des 30.000 euros sur des coups pareils ! » Explique ce cinquantenaire auteur de dizaines de scoops people et politiques, un vieux copain rencontré chez Sipa Press alors que je débutais dans le reportage de guerre il y a 20 ans. « C’est juste parfait (il parle des photos du BurkiNice, nda) c’est plus que de la chatte, c’est du caviar, ce qui me gêne c’est le regard de la femme, savait-elle qu’il planquait là ? A 70 mètres, franchement, t’a du mal à voir quelqu’un te photographier, je parle au conditionnel mais la réalité du terrain elle est ce qu’elle est, certains assument d’autres pas et se planquent et si tu regardes bien les flics ne voient pas le photographe eux. Au fait tu as jeté un coup d’œil sur les EXIF des photos ? »
EXIF or not EXIF ?
Ces informations ont un nom : métadonnées, et elles sont plusieurs : l’EXIF donne des informations techniques sur le cliché (paramètres, vitesse, ouverture, numéro de série et marque de l’appareil et de l’objectif (ce qui nous intéresse particulièrement dans notre cas). Ensuite vient l’IPTC qui vous donne des infos sur l’auteur et les XMP qui doivent remplacer l’IPTC. Il s’agit de la norme plus récente qui permet de stocker de multiples informations, très maniable le XMP est basé sur XML, donc extensible et facile à gérer. Voilà pour la partie technique.
Alors on va faire comme tout bon gendarme et/ou policier : Loin de toute polémique, j’ai enquêté et retracé le parcours du boitier photo et du photographe qui s’est retrouvé face à la scène du BurkiNice, pour tenter de comprendre avec des faits et des preuves numériques, ainsi que des témoins.
BestBuzz
Tout d’abord nous avons identifié le diffuseur de la photo en question, il s’agit de l’agence Bestimage, une des agences en vue en France. Sa patronne, Michèle Marchand est une grande professionnelle. Journaliste elle a bossé pour Gala, Public, Match, Closer et Voici. Autant dire qu’elle gère un joli réseau et qu’elle dispose de relais bien placés. Elle a été surnommée par la profession « la poule aux œufs d’or » ou la « Mata Hari » de la presse people. Il faut dire que Michèle, ancienne gérante de cabaret, a du chien, du chic et du charme, c’est une battante et elle aime les beaux scoops « elle a ce truc d’avoir su rester à la page alors que d’autres à l’heure du web sont déjà enterrés, elle percute vite et bien » explique un photographe qui a travaillé avec « Mimi ». Canal + s’était jadis cassé les dents sur elle en 2009 quand une enquête documentaire voulait l’associer à des paparazzis bidonneurs. Un caractère bien trempé, confirmé le long de notre conversation téléphonique, courtoise mais ferme : « sortez votre papier et je vous attaque en diffamation » reçu 5/5 Michèle !
« Mimi, explique un vieux brisquard, est redoutable, elle connait tout le monde mais peu de gens la connaissent, ses relais sont partout : justice, police, concierges, grand hôtels, jetsetteurs, voyous repentis, c’est « M » comme dans James Bond » d’ici à ce que je me fasse tirer dans les rotules il n’y a qu’un pas… Et le vieux routard de la profession de rigoler « ah bon elle t’a dit ça ? C’est une louve, elle protège ses petits jusqu’au bout, ça on ne peut pas lui enlever, c’est tout à son honneur, c’est tout elle ».
72 mètres
L’un de mes correspondants et photographe de profession a examiné les photographies commercialisées sur le site de l’agence, les données numériques permettent de préciser que la série de photographies « BurkiNice » a été réalisée le 22 aout vers 15h28 avec un appareil professionnel Canon EOS 1DX Mark II. La dame au voile était situé à 72,7 mètres du photographe qui lui était équipé (selon les métadonnées) avec du lourd : un téléobjectif Canon 100/400, le tout confirmé visuellement à nos témoins après leur avoir présenté une photographie du matériel (voir photo).

En lisant les métadonnées d’une photographie on retrouve beaucoup d’informations, dont la distance de prise de vue (c) Bestimage (site web)
Une recherche approfondie sur les sites d’infos étrangers où apparaissent les clichés non floutés, démontrent que la dame fixe l’endroit où se situe le photographe, qui lui, est situé à 72 mètres d’elle. Nous montrons cette série de photos à nos paparazzi, certains sont circonspects, d’autres évoquent « un coup monté », mais rien ne le prouve sauf quelques indices (et les indices ne sont pas des preuves, rappel général) que deux photographes éclairent : « quand tu shootes avec ce matos c’est déjà pas discret, alors tu te planques dans une bagnole ou dans un appartement derrière une fenêtre, voire même sur une terrasse de café, l’appareil sur les jambes, objectif entre les cuisses ou ton bada dans un sac à portée de main, moi je pose toujours le sac sur une chaise que je colle près de moi sous la table, et je place quelqu’un en face de moi pour discuter ou boire un café, il est briefé, mais avec un 400, il ne me gênera pas. La dernière option est de faire le shoot à l’arrache, tu fais vite, mais là ce n’est pas le cas, c’est trop bien cadré, ton gars était posé et en face, légèrement déporté sur la droite, pas en hauteur ».
Pêcher le poisson à la grenade

C’est cette photo disponible sur les sites d’infos étrangers qui a enflammé les réseaux sociaux, et pour cause: Le sujet regarde-t-il son photographe ? (c) Bestimage
Un autre pro, chasseur de personnalités et de scoops explique : « franchement, ce n’est pas une quelconque manipulation, mais y’a un hic, et ce qui me gêne c’est la scène toute entière, trop propre pour avoir de la chance à ce moment-là, trop bien cadré. Soit le photographe était en planque et savait que les flics allaient passer, soit c’est lui qui a passé le coup de fil aux flics, c’est l’un ou l’autre, y’a pas de secret ! J’ai l’impression que le mec a pêché le poisson à la grenade, c’est perso l’effet que ça me procure.» Deux autres confrères (un photographe et un vidéaste) plus méfiants rajoutent « comment la personne contrôlée sur la plage pouvait-elle savoir que vers 15h28 à Nice se trouverait à plus de 72 mètres un photographe qui réaliserait une série photo ? Pourquoi fixe-t-elle du regard avec insistance l’objectif du confrère ? Ça ressemble à tout sauf à du hasard. Si le coup-monté pourrait être possible ? Nous sommes désolés et confus mais nous nous posons la question et nous ne sommes pas du tout des adeptes des théories du complot et ne sommes pas des gens d’extrême droite, le doute est permis, on a le droit de se questionner surtout en ce moment ».
Dodo, planques-toi !
Le fait que ce photographe ait été en planque nous a été révélé par le témoignage de deux personnes qui ont croisé ce jour-là « un homme avec un gros appareil photo » comme l’explique ce garçon de café « il était sur ses gardes, il cherchait quelque chose ou quelqu’un, il a un physique assez particulier, surtout avec son appareil photo et son gros objectif, je me suis dit qu’il devait y avoir une star dans le coin, j’ai cherché sur ma terrasse, au cas où ! » et le saisonnier est un habitué de ce genre de profil, qu’il dit en avoir souvent vu quand il travaillait à Cannes en plein festival. Le deuxième témoin est un passant pas si ordinaire, un policier qui a vu un type « une tronche et un look de baroudeur, de flic qui veut se grimer et se fondre dans la masse » il a pensé à un collègue, puis il l’a perdu de vue « j’ai ensuite pensé à un paparazzi, et l’affaire a fait du bruit, j’ai tout de suite fait le rapprochement, moi je pense qu’il savait ce qui allait se passer et cherchait le meilleur angle pour sa prise de vue ».
Numéro de série
Un photographe niçois se rapproche de cette petite enquête et me contacte rapidement : « ton photographe là du burkini à Nice, il a suivi Cyril Hanouna, regarde la photo que je t’envoie et regarde le numéro de série de l’appareil, je ne connais pas du tout ce type, pourtant je les connais tous ici, lui il est venu ici pour ça… »

Selon les métadonnées, le photographe du coup BurkiNice se retrouve avec Cyril Hanouna le lendemain à l’aéroport de Nice à destination de Paris. (c)Bestimage
Si tôt dit, si tôt fait, les EXIFS épluchés, les recoupements sont faits : 24 heures après le coup du BurkiNice notre photographe shoote Cyril Hanouna à l’aéroport de Nice alors que la vedette va prendre un avion pour Paris. Même appareil photo, même boitier, même numéro de série (023011001008, des données publiques disponibles sur les photos diffusées par le site de l’agence Bestimage) et même photographe ? « Oui, répond sans appel un grand paparazzo, ce genre de matos c’est du 10 à 15.000 euros, aucune agence ne possède un râtelier a dispo avec des objectifs 24-105 ou du 100-400, et moi je les connais bien ces radins ne prêtent jamais leur matos, jamais. Moi je ne le fais pas, tu me prêterais ta brosse à dents ? Non, ben voilà » peste notre photographe très près de son matériel. Chose que je confirme, après 20 ans de reportage je rechigne toujours à prêter mon matos, question de réglages personnels et d’attachement à un matos qui n’est pas donné.
« Un coup comme ça ? IMPOSSIBLE !!! »
J’ai demandé à l’agence de me communiquer ces photographies, sous couvert de la réalisation d’un documentaire, ils m’ont fait parvenir les photographies et aucune information n’a été altérée. Après vérification il s’avère que le photographe est un habitué des « coups » et Michèle Marchand la patronne de l’agence à l’origine des deux scoops (BurkiNice & Hanouna) nous confirme au téléphone « je l’ai envoyé (le photographe, nda) car il était là et dispo, j’ai dit à Cyril (Hanouna, nda) que quelqu’un viendrait le prendre en photo ». Pourtant quand j’explique à Michèle que des professionnels de la photographie et des grands paparazzi ont un doute sur « l’instant hasard » elle rétorque « je suis sure et certaine que ce n’est pas un coup monté et qu’en aucun cas ce photographe aguerri compétent et honnête n’a jamais pu appeler la police pour ‘dénoncer’ et j’ai la prétention de croire qu’on ne me manipule pas facilement. En aucun cas ce photographe n’est un paparazzi, c’est un photographe de faits divers et de société ». Elle clôture par SMS « Appeler la police lui ? Et pour faire un coup comme ça ? Mais IMPOSSIBLE !!! ».
Pourtant des sources policières confirment bien que la dame verbalisée a quitté la plage seule, mais a été récupérée par « un groupe d’hommes » quelques instants après. Il faut préciser qu’elle a été prise à partie sur la plage entre les pro-burkini et les anti-fichu… Impossible d’en savoir plus, motus et bouche cousue à Nice et à Paris. Alors appât ou pas ? Piège ou pas ? Manipulation ou pas ? Et si tous les protagonistes avaient été intoxiqués dans cette affaire ?
Un coup de rasoir
Pour trancher, si j’applique la théorie du rasoir d’Ockham, qui dit que dans un ensemble de modèles expliquant des faits, la préférence doit être donnée à celui qui fait appel au nombre minimal d’hypothèses, mais plus explicitement dans notre cas : « il est inutile d’accomplir par un plus grand nombre de moyens ce qu’un nombre moindre de moyens (déjà en place) suffit à produire » et surtout si les environnements sont propices. Apparait alors sur mon tableau le modèle de l’appât, je résume :
- L’environnement social et politique explosif déjà en ébullition (burkini).
- Les lieux symboliques : Une plage de Nice (après les attentats, un maire proactif et présent dans les médias).
- Les positions législatives et légales : Interdire ou pas le burkini / débat aux plus hauts niveaux de l’Etat.
- Medias à l’affût et réseaux sociaux gonflés à bloc.
C’est la base de la guerre de l’information, un thème maitrisé par des activistes politiques et qu’il est très difficile de contrer à ce jour, car peu de journalistes européens et français y sont réellement formés. Autre point noir : les rédacteurs en chef sont issus de la vielle école et se sentent intouchables, certains sont victimes du syndrome d’hubris (syndrome du pouvoir et de la toute-puissance). Se poser des questions et éclairer les zones d’ombres avec du recul c’est de l’auto-défense pure contre toute tentative de manipulation ou d’intoxication. Nous, gens de presse, sommes des vecteurs, des cibles intéressantes à détourner, intoxiquer et caresser dans le sens du poil, ce que j’explique à mes étudiants depuis des années avec des exemples sidérants.
Série Burkiphoto
Le photographe en question m’a fait passer un message par le biais d’une source dans le milieu de la photo de presse people : « Il me dit c’est un coup de chance, du hasard, que ce n’est pas un coup monté et qu’il a eu de la chance ce jour-là car il réalisait toute une série de photos sauvages sur les femmes voilées et en burkini sur les plages de Nice.»
Une commande « sur les femmes en burkini sur les plages du sud » de l’agence Bestimage ? Une commande confirmée au téléphone par Michèle Marchand « nous avons toute une série, une centaine de photos sur des femmes voilées sur les plages, c’est le même photographe».
Les choses sont un peu plus claires à présent, une agence, un photographe « en chasse » et un sacré coup de bol. Tout le monde s’est planté dans ce dossier : gauche, droite, fachosphère et analystes du dimanche.
Comme le disait le copain photoreporter, Patrick Chauvel : « si dans ce métier t’a pas de chance, alors change vite de job ».
Je le crois , c’est de l’antisémitisme
Eh bien, cet article est une véritable mine d’or. Bien documenté à propos de ces chasseurs de scoops – pas toujours de belles mentalités.
Déjà quand il s’agit de personnalités et leurs vies privées, ils manquent singulièrement de scrupules.
Mais ici, c’est d’une portée politique qui peut allumer des incendies – et pour le « bonheur » du Buzz, ils n’hésitent pas !
Nous n’avons pas besoin, ni la période, de ces copieurs qui maintenant semblent vouloir copier Pallywood.
Je me pose quand même une question : les policiers faisaient-ils partie de cette mascarade ? Si oui, il faudrait les sanctionner lourdement….