OPINION
Toutes les religions et toutes les espérances peuvent coexister en Terre Sainte. A condition d’être sincères avec elles-mêmes.
PAR MICHEL GURFINKIEL
« Voici, je ferai de Jérusalem une coupe d’ivresse pour tous les peuples alentour… Et une pierre pesante pour tous les peuples… » Comment ne pas songer, aujourd’hui, à ces versets bibliques (Zacharie, XII, 2-3) ? Jérusalem et la Terre Sainte éblouissent et enivrent les visiteurs, les pèlerins, les politiques, mais aussi leurs propres habitants.
Les psychiatres ont homologué un « syndrome de Jérusalem » : le désordre mental qui, chaque année, frappe nombre d’étrangers lors de leur arrivée dans la Ville Sainte. Quant aux conflits qui déchirent le pays depuis plus d’un siècle (israélo-arabe, israélo-palestinien, judéo-islamique), il faut sans doute les replacer dans les conflits plus vastes qui affectent toute la région ; mais ils procèdent aussi d’une logique propre : la conviction pour chaque protagoniste, que son rêve prend réalité ici et nulle part ailleurs.
La Terre Sainte a connu depuis le milieu du XIXe siècle une révolution géopolitique : la renaissance d’Israël. Cette nation a été créée à la suite de drames sans précédents. Mais aussi à travers la foi. Depuis toujours, les juifs faisaient le serment, dans leurs prières, de « ne pas oublier Jérusalem » et Sion (Psaumes, CXXXVII). Maintenant, près d’un juif sur deux, dans le monde, vit dans le pays tant désiré. Rien n’est plus émouvant ni révélateur, à cet égard, que la fête du Seged, célébrée par les juifs éthiopiens. Communauté « perdue », ceux-ci avaient l’habitude, chaque automne, de d’aller sur des montagnes, afin de tenter d’apercevoir la Terre promise. Désormais, ils se réunissent sur la Tayelet, au sud de Jérusalem : une promenade publique qui offre une vue exceptionnelle sur la Vieille Ville et le Mont du Temple. En cette occasion, ils remettent leurs habits blancs traditionnels et arborent leurs grandes ombrelles d’apparat.
Pour les chrétiens, le rêve n’est pas de vivre en Terre Sainte mais d’y revivre l’enseignement et la Passion du Christ. Naguère, quand seuls quelques Occidentaux fortunés faisaient le voyage, on pouvait penser que cette dévotion s’était « sublimée », intériorisée. Mais le Saint-Sépulcre, Bethléem, Nazareth, regorgent à nouveau de pèlerins de chair et de sang. Le catholicisme et le protestantisme sont désormais représentés par des groupes compacts est-européens, africains, sud-américains, asiatiques, qui chantent, psalmodient, prient à voix haute. Depuis la chute du communisme, l’orthodoxie est revenue, avec ses moines barbus, ses nonnes élégantes, ses cohortes de pénitents qui refont le Chemin de Croix à genoux.
Pour l’islam, Jérusalem et la Terre Sainte sont des lieux mystiques : ce fut la première qibla ou direction de la prière, avant La Mecque ; c’est là que Mahomet aurait accompli un « Voyage nocturne » à travers l’espace et le temps ; et c’est là que se déroulera le Jugement Dernier. Au début du XXe siècle, la Noble Enceinte (Haram ash-Sharif) qui réunit le Sanctuaire du Rocher et la Mosquée Al-Aqsa, était un champ de ruines. Elle est aujourd’hui magnifiquement restaurée. Il est vrai que les musulmans ont connu leur propre révolution géopolitique en Terre Sainte : en contrepoint de la résurrection d’Israël, la formation d’un peuple palestinien.
Le Talmud (Ethiques des Pères, V,7) relate un prodige qui se déroulait autrefois dans le Temple de Jérusalem : quelle que fût l’affluence, chaque fidèle trouvait toujours assez de place pour se prosterner. A priori, rien ne devrait empêcher un prodige analogue dans la Terre Sainte actuelle : une coexistence de toutes les croyances. De fait, un visiteur non prévenu, « venu de Sirius », pense souvent qu’il en est déjà ainsi. Ramallah, la capitale de l’Autorité palestinienne, n’est en fait pas plus éloignée de la Vieille Ville de Jérusalem que la Kiryah, où siègent le gouvernement et le parlement israéliens. Elle est construite dans le même style que Jérusalem, s’est dotée des mêmes centres commerciaux et des mêmes cafés ; ses étudiants et ses jeunes professionnels ressemblent étrangement à ceux de « l’autre côté ».
Mais pour que des croyances coexistent, il faut peut-être qu’elles soient sincères. Entre juifs et chrétiens, beaucoup de malentendus ont été dissipés. Entre juifs et chrétiens d’une part, et musulmans d’autre part, ils se sont aggravés.
Une musulmane, le Dr Qanta Ahmed, a évoqué la question sans détour en 2013. Britannique d’origine pakistanaise, professeur de médecine, elle avait accompli le Hadj à La Mecque. Elle tenait à se rendre également à Jérusalem. A la mosquée Al-Aqsa, son guide palestinien, Ibrahim, lui montre, derrière les rangées de colonnes de marbre qui soutiennent le bâtiment, des piliers plus massifs, et plus anciens. Il ajoute, tout bas : « C’était l’entrée du Temple des Juifs, qui se situait ici avant la mosquée… »
Le propos fait sursauter Qanta Ahmed. Certes, la plupart des érudits et des chefs religieux musulmans reconnaissaient jusqu’à une époque récente l’existence du Temple. Le nom le plus traditionnel de Jérusalem, dans la tradition islamique, est « Bayt al-Maqdis », un calque de l’hébreu « Beith ha-Mikdash », qui signifie, précisément, « temple ». Dans un guide publié en 1925 par le Waqf de Jérusalem (la fondation pieuse chargée des lieux saints islamiques), on peut lire, à propos de la Noble Enceinte : « Ce site est le plus ancien au monde. Sa sainteté remonte aux premiers âges. Son identité avec le Temple de Salomon est au-delà de toute discussion ».
Mais avec la montée des islams intégristes, une autre doctrine s’est imposée, selon laquelle aucun Temple juif n’aurait jamais existé à Jérusalem. C’est ce qu’a affirmé le 25 octobre 2015 le cheikh Muhammad Ahmad Hussein, le chef actuel du Waqf (nommé par l’Autorité palestinienne). C’est aussi ce qui sous-tend l’étrange projet de résolution adopté par l’Unesco au même moment, selon lequel la Noble Enceinte mais aussi le Mur Occidental seraient exclusivement des lieux saints musulmans et palestiniens.
En quittant la mosquée Al-Aqsa, Qanta Ahmed avait le sentiment de porter « un double deuil » : celui du Temple juif, et celui de l’islam authentique. Sa consolation sera que Jérusalem est, par delà tous les deuils, le lieu de toutes les résurrections.
© Michel Gurfinkiel & Valeurs Actuelles, 2015
Jérusalem ouverte à toutes les religions… difficile, quand les musulmans proclament à la face du monde , qu’en cas d’avoir un état palestinien. Ils feront un nettoyage ethnique. Difficile pari pour Israël, de laisser le patrimoine juifs dans les mains de ses ennemis et garder le calme. Quand l’ONU et L’UNESCO soutiennent les palestinien y tous les musulmans.