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Inauguré en 2014, ce musée représente un progrès évident concernant la vision du Judaïsme par un d’un pays de l’Est et la reconnaissance de son apport à son patrimoine national.
La Pologne est le seul pays à avoir entrepris l’édification d’un tel musée d’une taille aussi importante. Le travail de d’illustration et d’explication de la présence juive pendant un millénaire est très satisfaisant.
Le musée reconnaît même la persistance d’un antisémitisme en Pologne qui a amené les quelques rescapés des camps de la mort à fuir ce pays. Il représente un effort évident de travail de mémoire en Europe de l’Est à la hauteur à celui entrepris par l’Allemagne. Quelques points sont à améliorer, à clarifier voire à supprimer.
I- Le musée
POLIN -Musée de l’Histoire des Juifs Polonais est une institution Polonaise créée par l’État polonais au travers de son Ministère de l’Éducation et de la Culture, de la Municipalité de Varsovie et de l’Association de l’Institut de l’Histoire des Juifs de Pologne chargée de financer et d’organiser l’exposition permanente du Musée. Depuis 1991 cette association est passée sous le contrôle de l ‘Académie polonaise pour la recherche scientifique. En 1994 l’Institut de cette association est devenu une unité de recherche scientifique dépendante du Ministère de la culture et des Arts.
Le Musée doit être considéré « dans les faits » comme une institution publique polonaise désirant préserver le souvenir historique et culturel de mille ans d’une présence juive aujourd’hui disparue. Il ne reste plus que 70 000 juifs sur 38 millions de Polonais soit environ 0% de la population.
II – L’exposition permanente
Le musée retrace assez fidèlement mais avec quelques lacunes la présence juive en Pologne et semble s’adresser en priorité aux jeunes Polonais qui ignorent tout de cette importante partie de l’Histoire de leur pays; ils ne voient en effet le Judaïsme qu’au travers de ce qu’il en reste c’est à dire un antisémitisme sans juifs, des préjugés, des superstitions et ce qu’en dit la très influente et très rétrograde Église catholique polonaise.
Jusqu’à la Shoah la Pologne comptait 3 300 000 juifs dont 3 000 000 furent exterminés et les survivants durent fuir sous la pression des pogroms polonais de 1945 et 1946.
Les premiers juifs arrivés en Pologne il y a près de mille ans furent des commerçants du sud et de l’Ouest de l’Europe. La présence juive se développa particulièrement lorsque la Charte de Kalisz fut instituée en 1264 par Boleslaw le pieu, Duc de la Grande Pologne. La Charte de Kalisz permettait aux juifs de résider en Pologne et d’y pratiquer leur religion sous la protection de Boleslaw puis des Seigneurs dans leurs domaines. De 1241 à 1287 la Pologne subit plusieurs invasions tartares et il fallait sans doute aussi repeupler les régions dévastées. Les Teutons firent aussi des conquêtes en Pologne à partir de 1306 mais dans le but de s’y maintenir. En l’an 1500, 30 000 juifs résidaient dans plus d’une centaine de bourgades et en 1765 la population juive atteignit 750 000 personnes répartie dans plus de 1 200 villes et Bourgades.
L’âge d’or du Judaïsme en Pologne correspondit à l’apogée de ce pays lorsqu’au XVe et XVIe siècle elle forma avec le Grand Duché de Lituanie, la République des deux Nations sous le règne de la dynastie lituanienne des Jaggelons. Cette République fut très tolérante.
Au cours de la première moitié du XVIIe siècle le Cosaque Bohdan Khmelnytsky associé aux Tartares de Crimée participa au soulèvement de l’Ukraine et à sa libération puis battit à plusieurs reprises l’armée polonaise. Bohdan Khmelnytsky dévasta de nombreuses communautés juives en Ukraine et en Pologne. La République des deux Nations ne put se remettre des défaites de cette période qui fut appelée « le déluge ». De 1772 à 1795 la République des deux nations fut partagée entre la Russie, la Prusse et l’Autriche. La Russie hérita en conséquence d’une population juive polonaise de 560 000 personnes qui fit passer la population juive de Russie à 610 000 personnes. Les communautés juives de Prusse et d’Autriche augmentèrent pour les mêmes raisons mais dans une moindre mesure.
Les vagues de Pogroms dans l’empire russe (comprenant pour partie la Pologne) provoquèrent le départ de plus de 2 millions de juifs à partir de 1880. 85% des émigrés allèrent aux États Unis et le reste au Canada, en Argentine, en Afrique du sud et en Palestine.
Le contexte dégradé et hostile de la Pologne permit à Jakob Frank (à partir de 1755) de se faire passer pour le Messie auprès de Juifs dans la détresse. Le mouvement hassidique du Ba’al Shem Tov (Israël Ben Eliezer) créa en 1740 un courant où prédomina une exaltation mystique éloignée du Judaïsme qui se développa sur la base de cette même détresse. Le Gaon de Vilna (Elyahou Ben Shlomo Zalman) réputé pour sa très grande connaissance du Judaïsme s’opposa au Hassidisme et désirait son excommunication à partir de 1777. Le musée indique que le Rabbi Moses Isserles fut l’auteur du Choulkhan Arukh qui a en fait été écrit par le Rabbi Yoseph Karo de 1522 à 1554. Le Rabbi Isserles ne fut l’auteur que de commentaires appelés : Hamappah.
III-Début de la Shoah
Sans tenir compte des Pogroms qui eurent lieu dans 22 villes Polonaises en 1939, on peut dire que la Shoah commença en tant qu’action exterminatrice systématique avec l’opération Barbarossa contre l’URSS le 22 juin 1941. Le recul de l’Armée rouge sous la pression de l’armée allemande laissa les communautés juives des pays baltes aux mains de populations meurtrières.
Les exterminateurs de masse que furent les Einsatzgruppen (Commandos allemands formés pour exécuter par balles les populations juives et russes) arrivèrent aux cotés de l’armée allemande. Raul Hilberg estime que 900 000 juifs furent tués de juin 1941 à décembre 1941 ; d’autres estimations s’élèvent à 1 100 000 victimes juives au cours de cette période c’est à dire à un rythme annuel d’extermination de 2 200 000 personnes. Le rythme annuel d’extermination par balles fut aussi élevé que celui des camps de la mort. Le musée indique que les victimes de la Shoah par balles s’élevèrent à 1 200 000 morts alors que la plupart des estimations dont celle de Raul Hilberg s’élèvent à 1 400 000 de 1941 à 1942.
Le musée reste peu clair sur la détermination du début de la Shoah. La conférence de Wannsee ne fut qu’un monologue de Reinhard Heydrich qui eut lieu après le début de la Shoah. Par ailleurs 800 000 juifs morts dans les ghettos victimes de la faim et de la maladie sont aussi des victimes de la Shoah.
La Shoah se présente de la façon suivante :
Camps de la mort | 3 800 000 |
Morts par Ghettoïsation (privations et maladies) | 800 000 |
Shoah par balles | 1 400 000 |
Total des morts | 6 000 000 |
IV- Jan Karski et les autres vaines alertes sur la Shoah en cours d’exécution
Le Musée indique que les pays occidentaux eurent connaissance du détail de la Shoah grâce au rapport de Jan Karski qui fut un courageux citoyen polonais ayant alerté le Royaume Uni (Anthony Eden directement) et les États Unis (le Président Roosevelt directement) de la Shoah en cours d’exécution dés 1942 et 1943 mais les alliés occidentaux avaient décidé de ne pas se préoccuper du sort des Juifs.
Jan Karski fit aussi un rapport en 1940 dans le quel il indiquait que la population polonaise se réjouissait des mesures prises contre les Juifs dans la zone occupée par l’Allemagne, mais que les juifs n’étaient pas inquiétés dans celle occupée par l’URSS. La zone russe a permit à de nombreux juifs polonais d’échapper aux camps de la mort en se réfugiant en URSS. Le rapport de 1940 de Jan Karski n’est malheureusement pas mentionné. Le musée précise toutefois que la population polonaise était préoccupée par la guerre et était volontairement indifférente au sort des Juifs.
Le musée ne mentionne pas non plus le câble de Gerhart Riegner qui informa le Royaume Uni et les États Unis dès Août 1942 du détail de l’extermination de masse des juifs par l’Allemagne. Un rapport étoffé et contrôlé par le département d’État et la Croix rouge fut remis aux États Unis et au Royaume Uni et une conférence de Presse internationale fut organisée en Novembre 1943 pour dévoiler les détails de la Shoah. Le musée n’indique pas que les services secrets (MI-6 pour le Royaume Uni et OSS pour les États-Unis devenue ensuite la CIA) étaient informés de la Shoah à son début grâce au travail de déchiffrement réalisé initialement par des mathématiciens polonais.
VI- Les Pogroms en Pologne après la défaite de l’Allemagne
Malgré l’ampleur de la Shoah constatée après la défaite de l’Allemagne, le musée reconnaît qu’une vague de Pogroms eut lieu en 1945 et 1946 contre les rescapés des camps de la mort et contre les juifs revenus d’URSS ou ils avaient trouvé refuge.
Le musée mentionne des pogroms dans 8 villes :
RZESZOW, IRENA, SOKOLY, KRAKOW, RABKA, BOLESLAWIEC, PARKCZEW, POCIAGI. Nous n’avons pas vu le nom de la ville de KIELCE (4 juillet 1946) où le pogrom fut très violent.
C’est après le pogrom de Kielce que les rescapés juifs polonais des camps de la mort décidèrent de fuir la Pologne dont l’antisémitisme s’avéra irréductible malgré l’extermination de plus de 90% des juifs de ce pays.
La Pologne inaugura un nouveau genre d’antisémitisme : « l’antisémitisme sans juifs ». L’antisémitisme sans Juifs est le fait de rester anti-juif alors qu’il n’y a même plus de juifs présents à haïr. Il est fondé sur des préjugés, des superstitions, des faux souvenirs et sur l’influence néfaste d’une Église très rétrograde ; il est aussi fondé sur un déficit moral, une éducation insuffisante et sur une économie dont le produit est insuffisant et mal réparti.
VII- Période communiste
Le musée ne manque pas de signaler que le Parti communiste de Pologne aurait encouragé l’antisémitisme sans juifs sans doute en liaison avec la position pro-arabe du bloc communiste. Toutefois l’exposition permanente portant sur la présence juive en Pologne, il n’y a pas lieu de traiter les périodes de l’absence juive.
VIII -Années 1990
Le musée prolonge en effet la période de la présence juive aux années 1990 alors qu’il n’y en avait plus. 0.18% de Juifs dans la population Polonaise est proche de zéro et marque une absence et non une présence. Le musée veut montrer que le renversement du communisme et l’arrivée de Lech Walesa fut un progrès dans la réduction de l’antisémitisme en Pologne ce qui est faux et constitue une affirmation d’ordre politique.
En 1995 Lech Walesa prononça deux discours à Krakow en se référant aux victimes du camp d’Auschwitz et en omettant de mentionner que 90% d’entre-elles étaient Juives. Il fut même question de construire un couvent sur le site du camp. A l’époque de Lech Walesa des politiciens Polonais dont les positions ne plaisaient pas avaient été soupçonnés d’être des Juifs qui cachaient leur origine pour agir comme des agents infiltrés. Le Musée aurait mieux fait d’arrêter l’exposition à la fin de la guerre.
IX- Magasin de souvenirs du musée
Nous avons demandé que soient retirés de la vente les pins à épingler sur le revers des vestes pour rappeler le port obligatoire de l’étoile jaune, car cela est à notre avis de mauvais goût.
X-Magasins de souvenirs à Varsovie aujourd’hui
La vente de figurines caricaturant des Juifs tenant une pièce d’or dans une main et un sac d’argent dans l’autre est inacceptable. Les Polonais qui achètent ces figurines espèrent qu’elles attireront l’argent dans la maison ou encourageront les ventes des nouveaux commerces.
XI- CONCLUSION
Le musée est un très grand progrès dans la lutte contre l’antisémitisme sans juifs de Pologne et marque de façon satisfaisante la volonté légitime de ce pays de s’approprier un patrimoine culturel qui a fait partie durant un millénaire de l’Histoire Polonaise. On peut donc être optimiste pour les nouvelles générations.
Le Musée reconnaît pour partie et avec courage le problème de l’antisémitisme enraciné en Pologne au point que ceux qui échappèrent aux nazis durent aussi fuir les polonais après la fin de la guerre. Le musée aurait dû limiter son exposition permanente à la période de présence tangible d’une communauté juive (jusqu’en 1946) en accord avec le thème de cette exposition et sans aller s’égarer dans la période d’absence juive.
En ce qui concerne la période d’absence juive le Musée aurait dû consacrer un département à l’étude de l’antisémitisme sans juifs de Pologne. Comme nous l’avons mentionné ce phénomène semble être la conjonction de plusieurs influences comme celle d’une église très rétrograde, celle de préjugés et de la superstition, celle d’un niveau d’éducation insuffisante jusqu’ici et celle d’un sous-développement économique amplifié par une trop grande inégalité dans la répartition des revenus. Le salaire médian polonais est inférieur au seuil de pauvreté moyen en Europe et la Pologne est le pays le plus inégalitaire d’Europe ; les 10% les plus riches gagnent près de « 15 fois » plus que les 10% les plus pauvres.
Par ailleurs le refus des hommes politiques polonais de permettre à leurs citoyens de bénéficier de la Charte Européenne des Droits Fondamentaux n’est pas acceptable et ne favorise pas la tolérance. Cette Charte est pourtant obligatoire pour tous les pays membres de l’Union Européenne mais Bruxelles a décidé d’en exempter la Pologne au détriment de ses citoyens. Ainsi le nouveau Président du Conseil Européen, Donald Tusk (ex premier ministre Polonais) représente bien mal l’Union Européenne et sa nomination paraît surtout illustrer la position de l’Occident dans la crise ukrainienne.
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© Didier BERTIN pour Europe Israël News – avril 2015