L’irruption de l’Etat islamique a mis fin aux illusions occidentales sur les pseudos « printemps arabes ». Les succès militaires et l’influence grandissante, depuis presque un an, des miliciens fanatiques de l’Etat islamique (EI) en Irak et en Syrie – deux pays jadis « forts » au Moyen-Orient – avec son projet de « grand califat » à l’échelle régionale confirment la faillite et l’inconséquence dramatique des politiques occidentales depuis près d’un siècle, et particulièrement depuis 25 ans dans cette partie du monde.
Secoués depuis l’automne 2010 par de puissants remous intérieurs, l’Irak, la Syrie, la Libye, le Yémen, le Bahreïn – et sans doute bientôt la Jordanie et le Liban – n’ont pas opté pour « plus de démocratie », mais pour l’appartenance à la « ouma musulmane » (la large communauté des croyants de l’islam) venue supplanter le cadre branlant des « Etats-nations arabes » imposé, par vagues successives depuis 1916, par les puissances coloniales occidentales, puis par les deux supergrands (USA et ex-URSS) au temps de la Guerre froide.
Les flottements occidentaux et l’indécision américaine
C’est précisément de là que viennent les flottements stratégiques et tactiques, ainsi que les échecs de la coalition armée lancée l’été dernier par les Etats-Unis pour « éliminer l’EI en Irak et en Syrie », comme l’avait un peu trop vite annoncé le président Barack Obama : Un objectif en fait impossible à atteindre sans intervention militaire terrestre – ce que ni les Etats-Unis, ni les autres pays occidentaux et encore moins les pays arabes coalisés ne souhaitent.
Le tout récent « départ forcé » du secrétaire d’Etat américain à la Défense, Chuck Hagel, est le dernier avatar de l’improvisation et de l’opportunisme moyen-orientaux à la « mode Obama », particulièrement graves dans le cas de la guerre civile syrienne où l’administration américaine n’a jamais clairement défini ses objectifs : Mettre fin ou pas au régime Assad ?
Soutenir ou non l’opposition sunnite à ce régime, et, dans ce cas, quelles factions rebelles aider ?
L’axe Washington-Téhéran déjà à l’œuvre
Comme l’Amérique souhaite désormais se retirer pas à pas de la grande région moyen-orientale en proie à l’affrontement majeur entre Sunnites et Chiites – essentiellement parce que ses immenses réserves nationales en pétrole schisteux vont la rendre de moins en moins dépendante de « l’or noir » d’Arabie Saoudite et des potentats esclavagistes du Golfe -, il lui fallait déployer une stratégie de retrait progressif en trouvant un allié capable de maintenir l’ordre régional à sa place.
Or, après avoir lamentablement échoué à promouvoir la grande confrérie des Frères musulmans (FM) comme débouché possible pour tous les « printemps arabes » – notamment en Egypte où l’armée a repris le pouvoir, appuyée par une partie du peuple -, l’administration Obama a fait son choix voilà un an et demi : De manière assez sidérante en opérant un revirement à 180 degrés, elle a donc opté cette fois, pour le régime chiite des mollahs installé à Téhéran, seul capable à ses yeux – en dépit de ses évidents objectifs hégémoniques sur la région – d’y maintenir certains « équilibres » chers à Washington.
D’où l’infinie souplesse américaine dans les interminables négociations, sans réel deadline, sur le programme nucléaire iranien qui viennent d’être encore prolongées de huit mois ! D’où l’alliance objective entre l’Iran et les USA pour que ces derniers limitent l’influence (sunnite) de l’EI en Irak et en Syrie, mais sans toutefois dépasser certaines limites dans leurs actions militaires.
Le rôle toujours ambigu de la Turquie
Se considérant – sans le proclamer ouvertement – comme la rivale sunnite et l’alternative « musulmane authentique » du grand califat que l’EI veut instaurer dans toute la région, la Turquie d’Erdogan a tenté de surfer sur la vague montante des « printemps arabes » en décuplant son hostilité contre Israël (notamment par l’envoi de sa flottille « anti-blocus » et du Marmara vers Gaza) et en maintenant un discours islamiste militant. Ce qui la discrédite pour prétendre à entrer dans l’Union européenne. Mais afin de pouvoir encore rester dans l’OTAN et surtout de ne pas briser son entente avec l’hôte actuel de la Maison Blanche, Erdogan – qui n’aime ni les Kurdes ni l’EI – a fait mine d’« aider » un temps l’opposition armée kurde au nord-ouest de la Syrie qui résiste bravement face aux vagues d’assaut de l’EI…
Vers un axe Le Caire-Jérusalem
Dans ce Moyen-Orient en pleine ébullition, la reprise en main sécuritaire et institutionnelle opérée depuis juillet 2013 par le président égyptien Sissi représente une véritable aubaine pour Israël qui, à juste titre, avait tant redouté les conséquences de la prise de pouvoir des « Frères musulmans » au Pays du Nil.
Même s’il veut continuer de faire jouer à son pays son rôle traditionnel d’intermédiaire – qu’il a tenu 30 ans durant sous la présidence de Moubarak – pour tenter de résoudre le contentieux israélo-palestinien et même si, ce faisant, il recourt à une phraséologie nationaliste panarabe, Sissi a remis de l’ordre en envoyant l’armée nettoyer la frontière-sud de Gaza et la péninsule du Sinaï devenues un temps une véritable poudrière terroriste djihadiste au sud d’Israël. Il est donc devenu l’allié naturel et objectif d’Israël. Ce qui confirme la fameuse « vision » de Golda Méïr après 1973 qui avait déclaré : « Au Moyen-Orient, il n’existe que deux véritables Etats : L’Egypte et Israël. Et tout le reste, ce ne sont que des tribus qui hissent leurs drapeaux ».
La création d’un Etat palestinien ne résoudra rien
Alors que les cadres factices de l’Etat-nation s’effondrent dans tout le Moyen-Orient sous les coups de butoir de l’EI et de son projet de « grand califat » sunnite se posant en rival suprême du régime des mollahs installé à Téhéran, on voit mal comment la création d’un 23e Etat arabe nommé « Palestine » dans cette grande région allant du Maghreb à la Perse pourrait en quoi que ce soit calmer le jeu !
Non seulement parce que les causes réelles de tous les bouleversements en cours dans les pays musulmans n’ont rien à voir avec l’existence d’Israël, mais surtout parce que dès sa création, cet Etat palestinien, qui sera érigé aux portes des grandes villes israéliennes du centre du pays, ne satisferait en rien ni le Fatah de Ramallah et encore moins le Hamas de Gaza…
A n’en pas douter, cette Palestine deviendrait donc elle aussi une insupportable poudrière terroriste encore bien plus dangereuse que celle de Gaza après l’énorme erreur stratégique du retrait unilatéral israélien du Goush Katif de l’été 2005.
Dans ce contexte de grande confusion régionale qui risque de durer encore longtemps, ce qu’Israël doit faire c’est de savoir tenir bon, l’arme au pied, face aux pressions occidentales et américaines qui s’accentueront en affirmant le caractère juif et démocratique de son Etat.
Source : Hamodia, par Richard Darmon.