Située à quelques kilomètres de la frontière égyptienne, la ville de Derna est totalement administrée par le groupe terroriste.
A quelques kilomètres de la frontière égyptienne, aux portes de l’Union européenne, Derna, ville côtière d’environ 100.000 habitants à l’est de la capitale, Tripoli, vit à l’ombre du drapeau noir de l’EI. C’est le seul endroit au monde, coincé entre Benghazi et Tobrouk, où l’EI administre un territoire, en dehors de la zone irako-syrienne.
Le 31 octobre, la milice du Conseil consultatif de la jeunesse islamique (ou MCCI pour Majilis Choura Chabab al-Islam) publie une vidéo dans laquelle elle prête allégeance à Abou Bakr al-Baghdadi. Plusieurs centaines de jeunes défilent alors à bord de pick-up surmontés de la bannière noire de l’EI. L’allégeance sera officiellement reconnue par le chef de l’EI lui-même et Derna deviendra « la province de Cyrénaïque Barqah ».
« Le drapeau noir de l’EI flotte sur tous les bâtiments administratifs. Les voitures de police portent l’insigne du groupe. Le stade de foot est utilisé pour les exécutions publiques », ont pu constater plusieurs journalistes de CNN, il y a quelques jours. L’emprise sur la ville serait en effet totale. L’EI contrôle les tribunaux, les services administratifs, l’éducation, les médias locaux, faisant dire aux observateurs que Derna est devenue la « Raqqa libyenne », du nom de la ville syrienne considérée par l’EI comme la capitale de leur « califat ».
« La ville portuaire est équipée de tribunaux appliquant le droit sur la base de la charia et une force de police islamique qui patrouille dans les rues avec des véhicules tout-terrain. Un mur a été construit à l’université pour séparer les étudiantes de leurs homologues masculins et les disciplines du droit, les sciences naturelles et les langues ont tous été supprimés. Ceux qui remettent en question l’ordre établi risquent la mort. Derna est devenue une colonie de la terreur », décrit l’hebdomadaire allemand « Der Spiegel ».
On ignore le nombre de combattants dans ses rangs mais selon les sources de CNN, ils ont aménagé une demi-douzaine de camps à la périphérie de la ville, ainsi que différentes installations plus importantes dans la Montagne verte, bastion historique de la rébellion islamiste contre Mouammar Kadhafi avant 2011.
Exécutions publiques
Au quotidien, « la vie est normale à Derna », selon un habitant de la ville cité par l’AFP mardi 25 novembre :
Tu sors, tu fais des courses, tu visites tes proches, personne ne s’en prend à toi. Mais si tu es de la police, de l’armée ou de la magistrature, tu es mort. »
Le groupe a diffusé en août une vidéo de l’exécution publique d’un Egyptien accusé de meurtre dans le stade de la ville, une première en Libye. Le 11 novembre dernier, les têtes coupées de trois jeunes militants, enlevés peu de temps auparavant, ont été retrouvées dans le centre de la ville. L’information a été diffusée sur les réseaux sociaux, et le mode opératoire, tristement classique des djihadistes de l’EI, n’a pas laissé de doute quant aux auteurs des meurtres.
Interrogé par CNN, Noman Benotman, un ancien djihadiste libyen, devenu spécialiste du sujet, souligne que « la majorité de la population s’est opposée à la prise de contrôle de la ville, mais en l’absence totale de présence gouvernementale, elle n’est pas en mesure pour l’instant de faire beaucoup de choses. Les tribus locales sont réticentes à agir car elles ont des proches qui ont rejoint les rangs de l’EI ».
Une expansion dangereuse
Reste que l’allégeance du MCCI, et bien que traversé par des rivalités et une résistance des partisans d’Al-Qaïda, a donné des velléités à l’EI qui ne compte pas s’arrêter là. D’un objectif à l’origine régional, ré-instaurer un califat sunnite à cheval entre la Syrie et l’Irak, poursuivant sa guerre contre le chiisme, le groupe djihadiste voit désormais plus grand.
Et en Libye particulièrement. Certains partisans de l’EI se sont déployés le long de la côte méditerranéenne poussant toujours un peu plus vers Benghazi, où se trouve désormais le pouvoir libyen, mais aussi vers l’Egypte. Le 13 novembre, l’EI a revendiqué les attentats contre l’ambassade d’Egypte et des Emirats Arabes Unis à Tripoli. Selon Noman Benotman les miliciens de Misrata alliés à des islamistes, qui se sont emparés de Tripoli cet été, expédient des armes aux combattants de l’EI à l’est. Selon lui, l’armée libyenne aurait détruit un des convois.
Pour les djihadistes, la Libye est un endroit idéal pour développer leur terrible dessein : l’Etat est désintégré, le pays abrite les plus grandes réserves de pétrole du continent et la contrebande y est facile. Si l’EI parvenait à s’étendre encore plus, il pourrait déstabiliser encore davantage la région déjà très fragilisée. Le 21 novembre, interrogé par la presse, sur la possibilité d’étendre l’action de la coalition internationale contre l’EI en Libye, le ministère des Affaires étrangères a seulement répondu que le groupe avait été ajouté à la liste des groupes terroristes des Nations unies.
Sarah Diffalah
L’organisation internationale Human Rights Watch a confirmé dans un communiqué diffusé jeudi 27 novembre la prise de contrôle de Derna par une branche de l’EI. Elle a recueilli des témoignages des habitants et a recensé les diverses exactions perpétrées par les djihadistes.