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Histoire d’un coup d’Etat : Comment la Cour suprême a pris le pouvoir en Israël, Pierre Itshak Lurçat


Histoire d’un coup d’Etat : Comment la Cour suprême a pris le pouvoir en Israël, Pierre Itshak Lurçat

La récente décision de « Bagats » (la Cour suprême d’Israël) annulant la loi sur la détention des immigrants clandestins en Israël, est l’occasion de se pencher sur un des problèmes cruciaux qui met en cause les fondements du projet sioniste et la nature de l’Etat rêvé par Herzl.

Contrairement à ce que pourrait laisser penser un regard superficiel, en effet, cette affaire ne touche pas seulement les habitants du sud de Tel-Aviv, présentés dans les médias comme les seuls concernés par cette décision de justice, qui constitue un véritable coup de poignard dans le cœur de la démocratie israélienne : La Knesset, instrument du pouvoir législatif et expression de la vox populi.

Ce qui est en jeu dans cette affaire emblématique, c’est ni plus ni moins que la survie de l’Etat d’Israël en tant qu’Etat juif, ou bien son remplacement à terme par un « Etat de tous les citoyens » – euphémisme qui signifie en fait un Etat occidental, dans lequel les Juifs seront une minorité comme les autres ; c’est-à-dire la fin du projet sioniste.

Ceux qui suivent depuis de nombreuses années, comme c’est mon cas, les péripéties de l’affrontement constant entre la Knesset et Bagats, savent qu’il s’agit d’un combat crucial, sinon du combat crucial, peut-être le seul qui menace véritablement l’existence de l’Etat juif !

Si l’on voulait résumer en une phrase le processus qui a commencé dans les années 1980 et dont nous assistons aujourd’hui à l’aboutissement, on pourrait dire, sans exagérer, que nous vivons actuellement un véritable coup d’Etat : Celui fomenté par Bagats, la Cour suprême et le pouvoir judiciaire en général, qui a usurpé le pouvoir démocratique détenu par la Knesset, représentante du peuple démocratiquement élue.

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Pour comprendre comment nous en sommes arrivés là, il faut envisager deux éléments distincts, mais qui s’entremêlent : Un élément intérieur, celui du Juge Barak et de la « révolution constitutionnelle » qu’il a entreprise dans les années 1990 et un élément extérieur : Celui des associations étrangères qui financent le combat mené par le pouvoir judiciaire et par Bagats, contre la vox populi et contre la démocratie israélienne.

Un livre paru il y a quelques années en Israël décrivait les deux personnages les plus influents du pays : Le juge Aharon Barak et le rabbin Ovadia Yossef.

Cette analogie, pour séduisante qu’elle soit, sous-estime le pouvoir du premier.

Barak, en tant qu’« Admor » de la minorité laïque militante, a sans doute moins de disciples que le rabbin Ovadia Yossef, sommité du monde de la Torah. Mais son influence concrète sur les institutions de l’Etat est incomparablement plus grande !

Dans la première partie de cet article *, nous verrons comment le juge Barak a imposé sa conception totalitaire du droit à l’establishment judiciaire israélien. Nous verrons ensuite (sdv), dans une deuxième partie, comment des associations et des Etats étrangers sont entrés dans la brèche creusée par le juge Barak, pour tenter de détruire la démocratie israélienne.

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Né à Kovno (Lituanie), en 1936, Aharon Barak a émigré en Israël avec ses parents en 1947. Très précoce intellectuellement, il obtient son doctorat en droit à l’université hébraïque à l’âge de 27 ans, devient professeur à 32 ans, et doyen de la faculté de droit à 38 ans. L’année suivante, il reçoit le Prix d’Israël. Aharon Barak est ensuite nommé procureur de l’Etat. Il occupe ce poste entre 1975 et 1978 et engage des poursuites contre plusieurs personnalités publiques, parmi lesquelles le ministre du Logement, Avraham Ofer (qui se suicidera) et Léa Rabin, la femme du Premier Ministre Itshak Rabin (lequel sera contraint de démissionner).

A Camp David, Barak est invité par Menahem Begin à faire partie de l’équipe de négociation israélienne, et c’est lui qui convainc le Premier Ministre d’accepter de mentionner les « droits légitimes du peuple palestinien » dans les accords israélo-égyptiens.

En 1978, Barak est nommé juge à la Cour suprême, dont il devient le vice-président en 1993.

Il succède à Meir Shamgar en tant que Président de la Cour suprême en 1995, poste qu’il occupera jusqu’à sa retraite en 2006. C’est au cours de cette période de onze ans que le juge Barak va mener à bien sa « révolution constitutionnelle », véritable bouleversement du système politique et juridique israélien, dont les conséquences ont affecté tous les domaines de la vie publique.

Une conception totalitaire du droit

La philosophie juridique du juge Aharon Barak repose sur la conviction que « le monde entier est empli de droit ». Selon cette conception, aucun aspect des activités et de la vie de l’homme n’échappe au droit, et la loi a son mot à dire sur toute chose. Comme il l’explique dans un article publié en 1992 :

« A mes yeux, le monde est empli de droit. Tout comportement humain est soumis à une norme légale. Même lorsqu’un certain type d’activité – comme par exemple l’amitié ou les pensées subjectives – est régi par l’autonomie de la volonté, cette autonomie n’existe que parce qu’elle est reconnue par la loi… Il n’existe aucun domaine de la vie qui échappe au droit (1) ».

Cette conception totalitaire, qui soumet tous les aspects de l’existence au droit, y compris les sentiments et les pensées, a des conséquences qui vont bien au-delà de la philosophie du droit. C’est en effet au nom de cette idée d’un droit omniprésent qu’Aharon Barak a réussi à transformer la Cour suprême en un acteur essentiel de la vie politique israélienne, et en une instance ultime devant laquelle doivent s’incliner tous les autres pouvoirs – de la Knesset au gouvernement et aux autres organes exécutifs et législatifs, au mépris du principe de séparation des pouvoirs, inhérent à tout régime démocratique.

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Pour ce faire, Barak a tout d’abord bouleversé les règles du droit de saisine et de l’intérêt à agir, afin de permettre un accès plus large devant la Cour suprême, en particulier pour attaquer les décisions du gouvernement (2). Ce faisant, il a permis à la Cour suprême d’exercer un contrôle judiciaire sur de nombreux domaines de l’action gouvernementale qui étaient auparavant considérés comme réservés au pouvoir exécutif… Ceci a conduit, comme l’explique Hillel Neuer, à une situation dans laquelle les membres du gouvernement ont appris à craindre la Cour suprême et non pas le public dont ils sont les élus… (3)

On peut même affirmer que, sous la présidence du juge Barak, la Cour suprême est devenue le véritable premier pouvoir et que les membres des autres institutions (ministres, chef d’état-major, députés, etc.) peuvent, du jour au lendemain, voir leur carrière et leur avenir compromis parce que leurs décisions n’étaient pas conformes à la conception du monde du juge Aharon Barak…

Un Etat « juif et démocratique » ?

Désormais, les tribunaux israéliens – et la Cour suprême en premier lieu – sont donc habilités à examiner la constitutionnalité de toute nouvelle loi adoptée par la Knesset, et sa conformité à la loi fondamentale sur la dignité et la liberté de l’individu. Ce pouvoir de contrôle n’a rien d’exceptionnel dans les démocraties occidentales, mais c’est la manière dont il est exercé qui a suscité très rapidement la polémique. En effet, pour examiner le caractère constitutionnel d’une loi, le juge doit apprécier sa conformité aux valeurs de l’Etat d’Israël, définies comme étant celles d’un « Etat juif et démocratique ». Or, c’est dans l’interprétation de cette expression que le juge Barak a donné libre cours à ses conceptions et à sa philosophie toutes particulières du droit et de l’Etat.

L’expression « Etat juif et démocratique » devait permettre de concilier les aspirations et les idées divergentes des différentes composantes de la nation israélienne, dans l’esprit de compromis qui était celui des fondateurs de l’Etat d’Israël.

Mais, pour Aharon Barak, il n’est pas question de compromis. Il a exprimé sa conception du judaïsme et de ce que doivent inclure les valeurs d’un « Etat juif », dans un article publié peu de temps après l’adoption des deux lois fondamentales de 1992 :

« Les valeurs fondamentales du judaïsme sont les valeurs fondamentales de l’Etat. J’entends par là, les valeurs d’amour de l’humanité, de sainteté de la vie, de justice sociale, de recherche du bien et du juste, de protection de la dignité humaine, valeurs que le judaïsme a léguées à l’humanité tout entière ».

Cette énumération pourrait sembler anodine, si Barak ne précisait ensuite que « les valeurs de l’Etat d’Israël, en tant qu’Etat juif, sont les valeurs universelles communes aux membres d’une société démocratique (4) ».

Le caractère problématique de cette définition, comme l’a fort bien démontré l’avocat Mordehai Haller (5), tient au fait qu’elle évacue, purement et simplement, tout particularisme juif, qu’il soit culturel, religieux, juridique, symbolique ou national.

Si un Etat « juif et démocratique » signifie simplement un Etat démocratique, alors Israël n’a pas vocation à être autre chose qu’une démocratie occidentale… Et c’est bien ainsi que l’entend le juge Aharon Barak.

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Le « Kulturkampf » post-sioniste du juge Barak

Sous couvert de concilier les valeurs juives et démocratiques de l’Etat d’Israël, le juge Barak a en effet voulu mener un véritable « Kulturkampf » contre tout particularisme juif de l’Etat. Au nom de son idée bien particulière des « valeurs universelles », il a ainsi pris toute une série de décisions marquantes, dont le point commun est de réduire à néant le caractère juif et sioniste de l’Etat.

Ces décisions ont tout d’abord concerné principalement des questions religieuses, comme les conversions non orthodoxes (effectuées par les mouvements juifs réformés et « conservative »), ou bien le respect du shabbat sur la voie publique. Sur toutes ces questions, Barak a fait preuve d’un esprit antireligieux militant, qui a suscité, en réaction, d’immenses manifestations contre la Cour suprême, organisées par le public juif orthodoxe au milieu des années 1990.

Mais il s’est avéré par la suite que la doctrine Barak n’était pas dirigée uniquement contre le judaïsme orthodoxe, mais tout autant contre les valeurs fondamentales du sionisme politique. La décision la plus marquante à cet égard a été celle de la Cour suprême dans l’affaire Kaadan. Il s’agissait d’une famille arabe qui avait voulu acheter une parcelle de terrain dans le village juif de Katzir, créé par l’Agence juive sur des terres domaniales appartenant à l’Etat.

Dans cette affaire, le juge Barak a pris le contre-pied de la politique traditionnelle d’implantation juive en Eretz Israel, qui remonte aux débuts du sionisme, bien avant la création de l’Etat. L’arrêt de la Cour suprême, rédigé par Barak, affirmait ainsi que « l’Etat n’est pas en droit d’allouer des terres domaniales à l’Agence juive en vue d’y construire un village sur une base discriminatoire entre Juifs et Arabes » (6).

En d’autres termes, la Cour suprême déclarait illégale la politique d’implantation juive qui a permis le peuplement de régions entières et qui constitue le fondement même de l’entreprise sioniste… Au lendemain de cette décision très contestée, le ministre de la Justice de l’époque, Yossi Beilin, en tirait les conclusions logiques, en réclamant le démantèlement pur et simple de l’Agence juive !

De manière paradoxale, l’instauration d’un embryon de Constitution en Israël s’est ainsi traduite par une atteinte significative aux pouvoirs législatif et exécutif, dont la légitimité a été diminuée par la ’judiciarisation’ croissante de la vie politique et par l’émergence d’un « premier pouvoir » incarné par la Cour suprême, sous la houlette du juge Aharon Barak. La « Révolution constitutionnelle » a, en fait, porté atteinte de manière apparemment irrémédiable au fragile équilibre des pouvoirs, élément essentiel du régime démocratique.

NB : Je remets en ligne cet article alors que la jeune députée Ayelet Shaked (photo ci-contre) tente avec courage de défendre les prérogatives de la Knesset contre la volonté hégémonique de la Cour suprême. P.I.L

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Source : VU DE JERUSALEM, par Pierre Itshak Lurçat, Avocat au barreau de Tel-Aviv, Spécialisé en droit de l’immobilier et de la consommation.

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(*) La suite de l’article est reprise d’une longue analyse, intitulée « Le débat constitutionnel israélien: De la proclamation de l’Etat à la « Révolution constitutionnelle » du juge Aharon Barak », parue dans la revue du Forum francophone israélien en juin 2007 et reprise par mon ami Menahem Macina sur son site Debriefing.

Notes :

(1). Aharon Barak, « Judicial Philosophy and Judicial Activism », in Iyounei mishpat, 17 (1992) cité par Hillel Neuer, « Aharon Barak’s Revolution », Azure 1998.

(2). Le droit de saisine avait déjà été élargi par un arrêt de la Cour suprême de 1986, Ressler c. ministre de la Défense, qui reconnaissait à toute personne le droit d’attaquer une décision gouvernementale, sans être directement concernée par celle-ci.

(3). Hillel Neuer, « Aharon Barak’s Revolution », Azure 1998.

(4). A. Barak, « The constitutional Revolution : Protected Human Rights », Mishpat Umimshal, cité par M. Haller, « The Court that Packed Itself », Azure, automne 1999.

(5). Mordehai Haller, « The Court that Packed Itself », Azure, automne 1999.

(6). Sur l’affaire Kaadan et le rôle joué par l’ACRI (Association for Civil Rights in Israel) et par la nouvelle génération d’avocats activistes arabes, voir l’article, orienté mais intéressant, d’Hélène Sallon, « La judiciarisation du politique en Israël : la promotion des revendications collectives arabes dans l’arène judiciaire », Bulletin du centre de recherche français de Jérusalem, 2005.





Psychosociologue, consultant sur les questions de conflits, crises, violences et débriefing dans tous les secteurs où ces problèmes se posent.



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  • 2 thoughts on “Histoire d’un coup d’Etat : Comment la Cour suprême a pris le pouvoir en Israël, Pierre Itshak Lurçat

    1. Elia

      Donc, le vote des israéliens ne vaut rien.
      Ils peuvent voter ce qu’ils veulent, c’est cette cour ennemie financée par des organisations étrangères hostiles à l’état d’Israël et héberge par le pays qui a le dernier mot.
      Le seul pays au monde qui se laisse gouverner ainsi.

      Donc, Natanyahou ne peut rien faire, ce sont les pouvoirs étrangers qui décident du sort de ce pays.

      On comprend mieux sa soumission à toutes les exigences et insultes de ses ennemis et pourquoi tout le monde n’attend que sa destruction !

      Je tire mon chapeau pour ce genre de gouvernement marionnette !
      C’est à pleurer de rire !

    2. madeleine

      N’y a-t-il aucun moyen qui permette l’abolition de cette Cour suprême qui se présente comme un ennemi au sein même de l’Etat ?

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