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«Confondre terrorisme et résistance, c’est confondre deux mentalités de combat», par Gérard Rabinovitch


«Confondre terrorisme et résistance, c’est confondre deux mentalités de combat», par Gérard Rabinovitch

Le chercheur Gérard Rabinovitch dénonce la «confusion lexicale», et au-delà politique, entre les deux termes. Un amalgame entretenu depuis la Révolution française.

Aujourd’hui, ce qui est terrorisme pour les uns peut être résistance pour les autres, et inversement. Le chercheur Gérard Rabinovitch, dont les travaux sont au confluent de la philosophie politique, de l’histoire et de l’anthropologie freudienne, s’inquiète de cette confusion lexicale. Il en a analysé les origines et pointé les effets sur la société humaine dans un récent ouvrage.

     Depuis quand parle-t-on de terrorisme et de résistance ?

     L’usage du mot « résistance » remonte au milieu du XIIIe siècle. Au XVIe siècle, il prend une connotation politique. Avec la Révolution française, il se sédimente dans l’expression « droit de résistance à l’oppression» incluse dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et dans celle de 1793. Le terme de «terreur », une peur extrême qui paralyse, on le trouve déjà chez Corneille. Puis il prend le sens de peur collective pour briser une population, en désignant l’ensemble des mesures d’exception et de liquidation instaurées entre la chute des Girondins [juin 1793, ndlr] et celle de Robespierre [juillet 1794].

Le terme de « terrorisme » désigna la politique de terreur de cette période, pointant l’emploi systématique de la violence pour atteindre un but politique, et celui des actes de violence qu’une organisation exécute pour impressionner une population et créer un climat d’insécurité.

Quant à son inclusion dans la langue universelle, elle se fit à l’occasion de l’attentat de la rue Saint-Nicaise visant Bonaparte, perpétré par des chouans le 24 décembre 1800. Un baril explosif à mèche posé sur une carriole attachée à une placide jument constitua le modèle séminal de la voiture-piégée. Il manqua sa cible mais tua 22 personnes et en blessa une centaine.

« Terrorisme » et « résistance » sont donc entrés dans la sémantique politique moderne à la même période, mais à deux moments distincts de la Révolution. « Résistance » s’inscrit avant l’élimination des Girondins, « Terreur » est le fruit du Comité de salut public jacobin.

     Comment le sens de ces termes a-t-il évolué ensuite ?

     Pour la notion de résistance, tout est simple. Elle appartient à la logique interne éthico-politique anti tyrannique, congruente à l’humanisme de l’élan révolutionnaire de la première époque. Sa scène fondatrice : L’épopée biblique de la sortie de la servitude en Egypte. Son modèle pratique : Les « codes » éthiques de combat en valeur absolue, acquis durant la Seconde Guerre mondiale.

Pour la notion de terrorisme, tout se complique. Pour la supposée sauvegarde de la Révolution, les robespierristes reprennent à leur compte les attributs de la tyrannie identifiée par Aristote. Dans ce retournement, la tyrannie, pourvu qu’elle serve le dessein révolutionnaire, cesse d’être ce à quoi résister, blanchie par l’idéologie qu’elle est censée servir. Si la résistance sui generis fait objection, obstacle, à la libido dominandi, la terreur, signal anticipé de la politique à venir de ses tenants, contredit de facto l’horizon émancipateur de tout projet de libération. Associée en réhabilitation à la perspective révolutionnaire, la terreur honnie regagne une légitimité scélérate. Elle revient en héritage chez les « attentateurs » anarchistes du XIXe siècle qui glisseront du « tyrannicide » strict à la négligence méprisante des victimes collatérales, puis à l’anonymat de victimes en masse en finalité attentatoire ; chez les nationalistes divers ; chez les bolcheviques – appel à la « terreur en masse » contre les ouvriers grévistes antibolcheviques.

« Terrorisme » et « résistance » auraient dû se définir selon une logique ordinaire d’opposition et d’exclusion, à l’instar, par exemple, de « barbarie » et « civilisation ». Ça s’est embrouillé. Pire, un adage d’un relativisme inconséquent a pris consistance : Que le terrorisme pour les uns est la résistance pour les autres, ou inversement. Un « asile d’ignorance », aurait pu en dire Spinoza, qui dispense d’en identifier des critères distinctifs. En valeur de minimum éthique partageable pour l’espèce humaine.

     Que nous dit la philosophie de ces deux notions ?

     La philosophie politique, inséparable de l’éthique, ne peut les éviter. Sur son établi de travail, il lui faut prendre acte des désastres du XXe siècle, le « siècle des génocides », « machine à liquider permanente », comme l’a nommé l’écrivain Imre Kertész. Terrorisme et résistance accompagnent la modernité politique. Or cette modernité est non univoque.

D’un côté, un idéal progressiste a porté – dans une marche précaire mais continue au XIXe siècle – des libertés diverses, arborescentes, sous le signifiant-maître de l’émancipation.

De l’autre, dans l’ombre de ce processus, dès la seconde moitié du XIXe, en interaction d’un scientisme rayonnant et d’un éventail d’idéologies politiques du ressentiment et de la haine, on observe l’apparition de tout un lexique imbibé d’exclusion et d’anéantissement dans un continuum sémantique mortifère : « Racisme », « dégénérescence », « machine vivante », « vies qui ne valent pas la peine d’être vécues », « eugénisme », « extermination », « antisémitisme », entre autres… Ce lexique n’a pas été hétéronome aux mouvements d’opposition antidémocratiques de « gauche ».

Du côté des politiques coloniales, ce lexique trouve son pendant sur l’axe de la domination dans l’initiation de pratiques émergentes d’enfermement des populations en masse – « camps de concentration » durant la guerre des Boers – ou de massacres de masse planifiés – « extermination » des Hereros en Namibie. Leurs langages s’entremêlent en rhétorique. Ainsi s’est dessiné à travers l’Europe un « motif » de langage fortement chargé de morbidité dans lequel le nazisme fit son nid. Ainsi prit corps en précipité, dans l’ombre des avancées démocratiques, une réversion spirituelle. Les « attentateurs » terroristes ne manquèrent pas de contribuer à cette « ambiance », ni d’en être les jouets. Les deux guerres mondiales, en hubris de la « brutalisation » observée par l’historien George Mosse, accomplirent ces attendus, et inscrivirent une rupture symbolique dont nos sociétés restent entachées et tributaires. C’est dans cette contextualisation et à cette aune qu’il faut établir l’opposition en valeur absolue entre terrorisme et résistance.

     Quelle est alors la nature de la « confusion lexicale » que vous pointez ?

     Elle confond deux modalités de guerre, deux mentalités de combat. Il y a dans le terrorisme une « héroïsation de la violence » pour elle-même, voire de la mort en fonction d’idéaux, dont il tire gloire. Tandis que dans la résistance, il y a un « consentement » à la violence si elle est inéluctable. Notons d’ailleurs que le nom de résistance tel qu’il s’est constitué au cours de la Seconde Guerre mondiale inclut au côté des actions armées les actions non armées de résistance civile et de sauvetage des populations persécutées, pas moins héroïques que celle des partisans armés.

Le terrorisme consonne avec les patterns mortifères de la modernité. Notamment l’objectif de la mort en masse de populations indistinctes, au moyen de tous les instruments possibles, détournés de leur fonction initiale. Quand bien même s’habillerait-il actuellement d’« enthousiasme » religieux d’apparences prémodernes, il en constitue un des aspects. De moyens encore limités dans un dessein illimité, il vise le meurtre en masse. Il véhicule la montée d’une kyrielle de personnages aux figures mentales archaïques. Omnipotence et destructivité constituent ses modalités et attributs flagrants. Elles ne sont pas antinomiques à cette modernité dans le versant sombre de laquelle elles trouvent accueil, relais, instruments. En tout cas, il n’est pas anodin d’observer la porosité entre groupes terroristes et diverses mafias et réseaux trafiquants qui s’imitent en violence et s’interpénètrent en intérêt. Pratiques d’intimidation, promotions internes réglées sur l’aptitude à la violence extrême, chosification des victimes désignées, se ressemblent. Même mépris pour les populations « civiles », celles adverses et celles dont les terroristes sont issus. Il est «totalitaire» si on veut le dire ainsi.

A l’opposé, la résistance et ses fins : Abattre la tyrannie, sous forme d’oppression ou d’occupation, sauvegarder quelque chose de la Menschlichkeit, du « sentiment d’humanité », éléments constitutifs d’une civilisation de vie, bornaient les moyens en retenue. La résistance ne se permet pas tout. La légitimité des moyens y était corrélée à l’équité des fins. Ce faisant, la résistance solidarisa des individualités dans un lien social peu exploré : La société éthique. Fût-elle provisoire… Le terrorisme invente des procédés de mort, y compris contre les « siens », la résistance sollicite des processus de solidarités, jusque chez ses adversaires.

     Quels sont les effets de cette confusion ?

     Le langage comme ordre propre de l’humain s’inscrit dans le réel et le transforme. Il constitue l’un des points par lequel se situe le rattachement du pôle de la subjectivité à la collectivité. Ce que Freud a établi cliniquement… Il agit comme un opérateur, détermine les compréhensions du monde en ce que le monde est découpé par les possibilités du langage. La pensée n’est pas seulement exprimée par les mots, elle vient à l’existence à travers les mots. Ne pas distinguer entre terrorisme et résistance participe d’une anomie lexicale générale, destructrice des aptitudes à penser, conditions de l’autonomie et de la liberté. Une telle anomie est conséquence et vecteur d’une « carence éthique », comme on dit « carence affective ». Elle habille de surcroît de la légitimité déclarative de « résistance » une réalité terroriste. Les confondre, c’est se faire affidé d’une terreur mortifère dans une déshérence complaisante, et saper le sens de l’esprit de résistance ; c’est disqualifier son éthique pratique par l’assimilation inclusive de pratiques terroristes. Et, du même coup, saborder le droit de résistance dans la civilisation, et la civilisation de ce droit.

     Quels enjeux de culture, alors ?

     Freud achevant Malaise dans la civilisation exprime un doute sur qui l’emportera au final entre Eros et Thanatos.

Reformulons-le ainsi : Qui l’emportera entre éthique de vie et jouissance de mort ? L’alternative n’est pas réductible à la seule distinction entre résistance et terrorisme.

Source : Libération, par Gérard Rabinovitch, recueilli par Édouard Launet

Soldats sur la tombe du soldat inconnu, le 26 août 1944, un jour après la libération de Paris.

(Photo : STRINGER.AFP) Dessin Yann Legendre

Terrorisme/ Résistance : D’une  confusion lexicale à l’époque des sociétés de masse de Gérard Rabinovitch éd. Le Bord de l’eau, 72 pp., 6,60 €.





Psychosociologue, consultant sur les questions de conflits, crises, violences et débriefing dans tous les secteurs où ces problèmes se posent.



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