La visite surprise dans le nord de l’Irak, la semaine dernière, d’une délégation de l’Église de France emmenée par le cardinal Philippe Barbarin, l’archevêque de Lyon, a chaudement réconforté ces « Nazaréens » chassés de Mossoul, à qui les islamistes sunnites promettent la conversion forcée, la mort ou l’exil. Le courage de Mgr Barbarin, accompagné de Mgr Michel Dubost, l’évêque d’Evry, et de Mgr Pascal Gollnisch, le directeur de l’Oeuvre d’Orient, a été apprécié comme un immense réconfort par les quelque 500 000 fidèles du Christ encore présents sur cette terre biblique où l’on célèbre des messes depuis près de de mille neuf cents ans. Ce voyage de soutien est un geste spirituel d’une grande portée qui va, aujourd’hui, bien au-delà de l’Irak, partout où les chrétiens sont discriminés, menacés ou martyrisés dans l’exercice de leur foi. On pense au Liban, aux Territoires palestiniens, à l’Egypte, au Nigéria, mais aussi au Pakistan, à l’Inde, aux Philippines.
Mais ces croyants attendent surtout de l’Occident qu’il se mobilise réellement, de façon politique, pour les défendre sur place et pas pour les pousser à l’exil. Leur attente va bien au-delà de la fausse générosité dont font preuve le gouvernement français et beaucoup de dirigeants de l’opposition. Que proposent-ils en effet aux chrétiens menacés ? De fuir leur pays, d’émigrer vers des terres plus clémentes. C’est sans doute généreux, mais c’est de la courte vue. Cela évite sans doute de se poser des questions sur l’absence en France, en Europe, aux Etats-Unis, d’une vraie politique de protection des minorités chrétiennes au Moyen-Orient.
Il semble même que les dirigeants occidentaux ont plus d’idées et de détermination pour venir au secours de l’opposition syrienne noyautée par les islamistes que des communautés chrétiennes que ces mêmes islamistes menacent.
La France a renoncé depuis longtemps à cette politique qui fut longtemps l’honneur de notre pays. Ce ne sont pas des déclarations de circonstance liées à la pression médiatique qui peuvent faire illusion. A gauche, mais aussi à droite, on se contente trop souvent de mots sans aucune réflexion stratégique de long terme sur le rôle et la responsabilité de la France. « Quitter l’Irak n’est pas la solution », nous rappelle dans le Figaro du 2 août Mgr Louis Sako, le patriarche des chaldéens, président de l’assemblée des évêques d’Irak.
Diplomate, il évite de dire tout haut ce que tant de chrétiens pensent tout bas : la proposition de Laurent Fabius d’accueillir en France des familles chrétiennes menacées n’est que l’habillage des renoncements de la France à exercer ses responsabilités historiques à l’égard des chrétiens d’Orient.
De nombreux chrétiens d’Orient rejettent ce déracinement que leur suggère un Occident déchristianisé dans lequel ils n’ont pas vraiment envie de vivre. Le constat d’un évêque catholique rencontré au Kurdistan est brutal : « L’Occident désarme et ne sait plus défendre ses valeurs et ses amis dans le monde. » Pour ces chrétiens présents sur ces terres avant l’arrivée de l’islam, entre les 8e et 12e siècles, l’exil représente la négation de leur longue résistance spirituelle et politique face aux musulmans. Il signifierait à terme la dissolution de leur identité.
Dans les années 1980, la France avait fait la même proposition d’exil aux maronites du Liban en guerre contre une coalition de circonstance associant la Syrie, l’Iran et des groupes islamistes. C’était l’époque où Roland Dumas, le ministre français des Affaires étrangères, estimait qu’il fallait « rogner les privilèges des chrétiens ». Bénis par leur patriarche qui avait rejeté la proposition française dans les mêmes termes que Mgr Sako aujourd’hui, les maronites avaient décidé de résister. Ils s’étaient battus, les armes à la main, pour défendre leur foi, leurs libertés. Les chrétiens d’Irak n’ont pas cette possibilité. Ils ne peuvent compter aujourd’hui que sur l’appui direct des Kurdes d’Irak et sur un soutien plus lointain, et très politique, de la Russie de Vladimir Poutine. J’ai encore en mémoire cette remarque d’Amine Gemayel, alors président du Liban, sur cette menace islamiste que le monde occidental découvrait, encore incrédule : « Si on ne les arrête pas ici, ils chasseront les chrétiens de tout l’Orient. Un jour, ils seront à vos portes, en Europe. »