Ci-dessus : Le ministre nazi de la propagande Joseph Goebbels (au centre) visite une exposition d’oeuvres d’art confisquées et jugées «dégénérées» par le régime nazi. – Photographie de 1938. (Source de l’image: Archives fédérales allemandes)
La liste complète des oeuvres d’art ne sera pas publiée en ligne. «Nous préférons que les personnes qui se prévalent une œuvre d’art disparue entrent en contact avec nous pour dire quel tableau leur manque, plutôt que l’inverse» – Reinhard Nemetz, Bureau du Procureur d’Etat, Augsburg, Allemagne.
«Je trouve choquant le fait qu’ils ne fournissent aucune liste de ce qu’ils ont trouvé. Les familles ne savent pas toujours exactement ce qu’elles recherchent jusqu’à ce qu’elles voient une photo de ce bien » – Laurent Kaye, Avocat d’Art, New York.
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La colère est en train de monter à propos du traitement de l’information par le gouvernement allemand concernant le trésor caché de quelque 1.400 œuvres d’art confisquées ou escroquées par les nazis et découvert dans un appartement de Munich il y a près de deux ans .
Des procureurs allemands ont confirmé le 4 Novembre qu’ils avaient découvert le trésor – signés d’artistes comme Marc Chagall, Albrecht Dürer, Paul Klee, Henri Matisse, Pablo Picasso et Pierre- Auguste Renoir – au début de 2012 dans le cadre d’une enquête de fraude fiscale. Mais ils ont caché ce fait au public jusqu’à ce qu’ils soient forcés de le révéler après que le magazine allemand Focus [Focus] eût publié des détails sur cette découverte dans un dossier du 3 Novembre.
Des groupes juifs en Allemagne et ailleurs, ainsi que les familles des survivants de l’Holocauste qui cherchent à récupérer les œuvres d’art pillées, se demandent pourquoi les autorités allemandes ont laissé passer deux ans avant de divulguer leur découverte, et le Département d’Etat américain appelle l’Allemagne à rendre les œuvres à leurs propriétaires légitimes.
Le trésor – estimé à environ € 1 milliard (1,35 milliard de dollars) – a été découvert dans un appartement remplie d’immondices où vivait un homme de 80 ans du nom de Cornelius Gurlitt. Selon Focus magazine, une grande partie de ces œuvres ont été achetées pour une somme dérisoire par le père de Cornelius, Hildebrand Gurlitt, à des juifs fuyant l’Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale.
La filature qui a conduit aux œuvres d’art a débuté en Septembre 2010 à bord d’un train allemand reliant la Suisse à Munich. Les fonctionnaires des douanes effectuant un contrôle de routine sur les passagers ont demandé à Cornelius ses papiers et ont eu des soupçons quand ils ont constaté qu’il avait sur lui une enveloppe contenant € 9.000 (12.000 $) en espèces à l’intérieur, le tout en billets neufs de 500 €.
Le montant était dans la limite légale des 10.000 € pour les voyages en Europe et Cornelius a été autorisé à poursuivre son chemin, mais les douaniers sont restés suspicieux. En Mars 2012 (et non en 2011 comme Focus l’avait initialement déclaré) la police a mené une perquisition dans son appartement de Munich sur des accusations de fraude fiscale et de détournement de fonds. Une fois à l’intérieur de l’appartement, ils ont découvert une cachette contenant 121 œuvres encadrées et 1.285 œuvres non encadrées – dessins, peintures à l’huile, fusains, lithographies et aquarelles – qui étaient stockées de manière professionnelle derrière des montagnes de boîte de conserve.
Selon Focus magazine, au moins 300 pièces de la collection Gurlitt sont des classiques modernes du 20ème siècle, soi-disant » art dégénéré « , [degenerate art] un terme utilisé par le régime nazi pour décrire pratiquement tout l’art moderne. Le trésor contient également des chefs-d’œuvre et de nombreuses œuvres d’art jusque-là inconnues de « qualité remarquable « , la plus ancienne peinture remontant au 16ème siècle.
Cornelius a hérité les œuvres de son père, un marchand d’art qui, dans la période qui a précédé la Seconde Guerre mondiale, avait été chargé de la confiscation des œuvres d’art pour les nazis. Certaines œuvres ont été saisies dans des musées, tandis que d’autres ont été volées ou achetées à une fraction de leur valeur à des collectionneurs juifs qui ont été contraints de vendre. Les pièces ont souvent été vendues hors d’Allemagne afin d’avoir des devises fortes pour le régime nazi.
Hildebrand Gurlitt – qui a évidemment gardé une grande partie des œuvres d’art pour lui-même – avait été détenu et interrogé par les Américains lors de leur enquête sur le pillage des œuvres d’art après la fin de la guerre en mai 1945. Mais Gurlitt, qui avait un appartement à Dresde pendant la guerre, avait déclaré aux autorités que sa collection avait brûlé dans le bombardement de cette ville en Février 1945.
Hildebrand Gurlitt est mort dans un accident de voiture en 1956 ; après la mort de sa femme, Hélène, en 1967, la collection fut transmise à Corneille, qui – à en juger par les cadres vides trouvés dans sa maison – a apparemment vendu les pièces une à une de temps à autres pour se procurer de l’argent pour vivre.
En Octobre 2011, par exemple, Cornelius a vendu une peinture – The Lion Tamer (le Dompteur de Lion / Löwenbändiger) de l’artiste expressionniste allemand Max Beckmann – en passant par la maison d’enchères Lempertz [Lempertz] de Cologne pour € 864,000 ( $ 1,2 millions). Un membre du personnel de Lempertz a dit que Cornélius était « amical et charmant » [Lempertz said] et qu’il leur avait dit que « sa mère lui avait donné cette œuvre ». Personne, dit-il, « ne se doutait de rien »
Les responsables de la société d’enchères se sont montrés étonnés d’apprendre par des reportages la mise en examen de Gurlitt : « Personne au gouvernement n’est venu vers nous pour nous alerter à son sujet. Cela en dit long sur les procureurs fédéraux qui n’ont pas senti la nécessité d’alerter les maisons de ventes? » dixit un porte-parole.
Selon les experts en art, cependant, la Maison Lempertz, qui a été fondée en 1845, a une longue tradition dans le trafic d’art [trafficking in art] confisqué aux Juifs, et aurait dû suspecter que la peinture de Beckmann était potentiellement de provenance douteuse [provenance].
En attendant, le sort de Cornelius, qui n’est pas en état d’arrestation, reste inconnu. Selon Reinhard Nemetz [Reinhard Nemetz] chef du bureau du procureur de l’État dans la ville bavaroise d’Augsbourg. «Nous n’avons actuellement aucun contact avec le suspect. Mais il n’existe pas de suspicion urgente qui justifierait un mandat ».
S’exprimant lors d’une conférence de presse organisée à la hâte le 5 Novembre, deux jours après que le magazine Focus eût publié son histoire, Nemetz est apparu le visage pincé pour défendre la décision de maintenir secrète la découverte des tableaux. Il a déclaré que les lois sur la confidentialité en Allemagne empêchait son bureau de rendre public un quelconque détail de l’enquête.
« Notre attention première est de savoir si un crime a été commis », a déclaré Nemetz, soulignant la « situation juridique extrêmement complexe » de l’affaire. Il a ajouté que rendre cette affaire publique aurait été « contre-productif» à l’enquête et aurait posé un risque pour la sécurité en raison de la valeur des œuvres, qui sont stockées dans un entrepôt du gouvernement à Munich.
Nemetz a également nié les accusations selon lesquelles l’Allemagne cherchait à garder les œuvres d’art. « Nous ne voulons pas conserver ces tableaux » a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse. « Les œuvres ne vont pas être accrochées dans mon bureau »
La liste complète des œuvres d’art, cependant, ne sera pas publiée en ligne – en dépit du nombre croissant d’appels pour le faire – parce que, dit Nemetz, les autorités ne veulent pas être inondées de réclamations : «Nous préférons que les personnes se prévalant d’un tableau perdu entrent en contact avec nous pour dire quel tableau leur manque, plutôt que l’inverse. »
Mais nombre d’observateurs extérieurs à l’Allemagne sont déconcertés par le manque de transparence de Nemetz . «C’est un mystère pour moi, je n’ai aucune idée de ce qu’il y a derrière tout cela » dit l’expert d’art israélien Joel Levi dans une interview avec le journal israélien Ha’aretz.[Ha’aretz] « Je ne m’explique pas pourquoi les autorités allemandes qui enquêtent adoptent cette méthode du ‘attendons de voir ce qui se passe ‘. Je ne comprends pas », dit-il, « Pourquoi est-ce resté dissimulé jusqu’à la révélation par le journal allemand ».
L’avocat d’art, Laurent Kaye [Lawrence Kaye] a déclaré au Wall Street Journal [Wall Street Journal]: «Je trouve choquant qu’ils ne fournissent pas la liste de tout ce qu’ils ont trouvé. Les familles ne savent pas toujours exactement ce qu’elles recherchent jusqu’à ce qu’on leur montre une photo. »
Un autre avocat de l’art, David Rowland Rowland & Petroff à New York [David Rowland] , a qualifié le refus du gouvernement allemand de divulguer des détails ou des photos des oeuvres récupérées de « très mauvais service » aux familles des survivants de l’Holocauste . « Sans une liste, nous ne pouvons rien faire », a-t-il dit.[said].
« Ils devraient mettre la liste sur Internet avec des photos ».
Rowland a également qualifié le processus d’envoi des lettres par mail « comme probablement la façon la plus inefficace pour une personne de pouvoir gérer cette situation. Nous espérons qu’à l’avenir, les autorités allemandes seront aussi transparentes que possible ».
L’appel à plus de transparence a été repris par Anne Webber, co-présidente de la Commission des œuvres d’art pillées en Europe, une organisation basée à Londres [Commission for Looted Art in Europe] qui aide les familles à récupérer les œuvres d’art saisies par les nazis.
« Une histoire aussi importante – pourquoi les autorités bavaroises se sont-elles assises dessus pendant deux ans? » dit-elle.[ said.]
« Il faut que la Bavière publie une liste de ces œuvres d’art dès que possible »
Chris Marinello, le directeur – fondateur de Art Recovery International dont le siège est à Londres, dit que l’Allemagne pourrait accélérer la restitution en rendant publique une liste des œuvres.
«Quand vous avez affaire à des œuvres d’art pillées par les nazis pouvant appartenir à des héritiers âgés de près de 80 ou 90 ans qui ont du mal à renouer avec leur patrimoine, une liste détaillée des objets saisis doit être mise en ligne immédiatement », a déclaré Marinello [said] «Il y a tellement d’organisations spécialisées dans la recherche d’œuvres d’art pillées par les nazis qui auraient été heureuses d’accélérer les recherches et de les aider », a-t-il ajouté.
Le Département d’Etat américain appelle maintenant le gouvernement allemand à accélérer la restitution des œuvres d’art aux citoyens américains et à ceux des autres pays.
Selon le Wall Street Journal [Wall Street Journal], le Département d’Etat estime que les procureurs en Allemagne ont violé les principes de Washington de 1998 sur les œuvres confisquées par les nazis, qui représentent les normes internationales régissant le traitement des demandes d’art saisis ou pillés par les nazis[Washington Principles on Nazi-Confiscated Art ]. La provision spécifique qui a été violée exige une publication rapide de l’information relative à la découverte d’œuvres volées.
D’autres avertissent que l’ambiguïté juridique qui entoure les lois de propriété allemande pourrait compliquer et retarder pour les héritiers des propriétaires initiaux la récupération d’œuvres saisies ou pillées. Même dans le cas de l’art pillé, la loi allemande stipule que la charge de la preuve incombe à la personne qui dépose la demande et qui doit fournir la preuve que les oeuvres ont été acquises sous la contrainte.
Selon une étude publiée par le journal suisse Neue Zürcher Zeitung, [Neue Zürcher Zeitung],Cornelius Gurlitt pourra être autorisé à conserver une grande partie des œuvres d’art, quelle que soit la façon dont elles sont entrées en sa possession :
La loi d’Adolf Hitler sur la confiscation des soi-disant œuvres dégénérées était l’acte souverain d’un Etat souverain, en conséquence toutes les œuvres qu’Hildebrand Gurlitt a acquises comme « dégénéré » sont considérées comme des achats juridiquement valables. Par conséquent, Cornelius n’est pas obligé de rendre au moins 300 des 1.500 œuvres s’il ne veut pas le faire.
Par ailleurs, la «Déclaration de Washington » de 1998, dans laquelle plus de 40 pays se sont engagés à rechercher les œuvres d’art confisquées par les nazis dans les musées et les archives et à négocier des solutions équitables avec les héritiers, n’oblige pas Cornelius Gurlitt à faire quoi que ce soit, parce que la Déclaration de Washington n’implique pas les œuvres possédées par des personnes privées. Nous devrons attendre pour voir quelle pression la justice allemande va décider d’utiliser contre lui.
L’Allemagne est aujourd’hui confrontée à des pressions pour qu’elle modifie sa législation et la rende plus souple pour ce qui touche à la restitution des œuvres d’art volées. Par exemple, le gouvernement américain envisagerait de faire pression sur l’Allemagne pour que soit modifiée sa loi de 30 ans de prescription pour les dossiers de demandes de restitution dans les cas où l’œuvre d’art se trouve avoir été détenue par un particulier.

Après huit ans d’enquête, le journaliste Hector Feliciano a reconstitué un gigantesque puzzle: le mystérieux itinéraire d’oeuvres d’art pillées par les nazis pendant la Deuxième Guerre mondiale. Les détails de cette enquête se trouvent dans son livre Le musée disparu: enquête sur le pillage d’oeuvres d’art en France par les nazis.
Parallèlement à la progression de l’armée nazie sur le territoire français, des services de confiscation ont pillé et confisqué des milliers d’oeuvres d’art.
Hector Feliciano a retrouvé la trace de certaines oeuvres. Il a également mis à jour la complicité de marchands et de commissaires-priseurs français.
Hector Feliciano, Le musée disparu: enquête sur le pillage d’oeuvres d’art en France par les nazis, éditions Gallimard, 2008.
La pression grandit également depuis l’Allemagne elle-même. Dans une première page de commentaire publié le 5 Novembre, le journal allemand Die Welt [Die Welt] a appelé le parlement allemand à annuler le délai de prescription impliquant des œuvres d’art pillées et de déclarer que tous les contrats de vente portant sur ces oeuvres, même après 1945, étaient nuls et non avenus. « Le plus grand vol de l’histoire de l’art serait, doit être complètement inversé en remontant aussi loin que possible. Ce serait avec retard, un juste retour des choses », dit le commentaire .
Les nazis ont confisqué environ 16.000 œuvres d’art pendant la Seconde Guerre mondiale, selon le Mémorial américain du Musée de l’Holocauste à Washington DC. Selon les estimations, 10.000 pièces sont toujours portées disparues et de nombreuses familles à travers le monde les recherchent toujours, mais peut-être plus pour longtemps.
Des experts d’art s’attendent à ce que davantage d’œuvres d’art confisquées par les nazis refassent surface au cours des années à venir. « Ce ne sera pas la dernière découverte », selon Robert Edsel, auteur du livre Les Hommes Monuments [The Monuments Men], un compte rendu du groupe de travail affecté au sauvetage des objets d’art culturels européens au cours de la Seconde Guerre mondiale. (Le livre d’Edsel a été rendu [made into a film] dans un film de George Clooney, qui sortira en Février 2014)
Selon Edsel, « Etant donné que la génération de la Seconde Guerre mondiale va disparaître au cours des cinq prochaines années, nous allons voir ce genre de choses sortir de plus en plus : des tableaux accrochés aux murs, provenant des greniers d’anciens combattants de tous bords de la Seconde Guerre mondiale. Ils vont se multiplier. Je ne sais pas nécessairement dans quelle proportion, mais nous allons en voir davantage »
Sources : Gatestone Institute – 8 novembre 2013 – Par Soeren Kern
Traduction Nancy Verdier
http://www.gatestoneinstitute.org/4048/germany-stolen-art
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