La Chronique de Brice Couturier
Cher Stéphane Hessel, cher Elias Sanbar, je confesse mon admiration pour votre éditeur, qui a eu l’idée si originale de faire dialoguer deux personnalités « d’origine et de génération différente », comme il l’écrit, et dont le lecteur naïf s’attend à ce qu’elles aient sur la question israélo-palestinienne, des avis peut-être différents… Mais on constate rapidement que, comme le dit Elias Sanbar, vous êtes « côte-à-côte et non pas face-à-face ». Vous communiez dansune même hostilité de principe envers le seul Etat juif, responsable, selon vous de tous les maux qui l’accablent et de toutes les violences commises au Moyen Orient.
Oh ce n’est certes pas la première fois qu’on feint d’organiser des débats contradictoires sur ce conflit du Proche-Orient en mettant en scène, mettons, un représentant patenté de l’Autorité palestinienne et un militant israélien de La Paix Maintenant, ou encore un responsable de l’OLP et un « Alterjuif » (selon l’excellent néologisme forgé par la psychiatre Muriel Darmon)… Mais que dirait-on d’un « face-à-face sans complaisance », bien sûr, entre un représentant officiel du Likoud et un Arabe pro-israélien, car il en existe, vous savez. Il y a une manière de simuler le débat entre des gens d’avis rigoureusement identique, qui a pour effet de disqualifier toute voix discordante. La mienne est bien modeste, face à deux personnalités de votre envergure, permettez-moi cependant de la faire entendre.
Pendant des années, on nous a répété que le Moyen Orient vivrait dans la paix, la stabilité, la bonne humeur et la prospérité générale, si seulement le « problème israélien » était résolu… Mais l’on restait vague sur la résolution en question. Passait-elle par la paix ? Ou par la victoire et la destruction d’Israël, telle qu’elle a été recherchée lors des guerres lancées par ses voisins contre l’Etat juif ?
Il semble que l’histoire qui s’emballe depuis le Printemps Arabe de l’an dernier, ait définitivement invalidé cette théorie.
L’actualité, au Proche et au Moyen Orient, ne tourne plus de manière obsessionnelle autour du conflit israélo-palestinien. Il ne figurait pas à l’agenda du Printemps arabe. Les peuples arabes ont cessé de s’en prendre en bloc à ce bouc-émissaire commode, offert à leur colère par des despotes qui les ont plongés dans la tyrannie policière etl’échec économique . Je ne pense pas que quiconque aujourd’hui souscrive encore à l’idée qu’un règlement pacifique de ce conflit résoudrait tous les problèmes de la région.
Le Printemps arabe et ses suites hivernales – savoir la montée en puissance des partis islamistes à la faveur des processus de démocratisation -, les prodromes de guerre civile en Egypte, la guerre froide qui se poursuit par Syriens interposés entre l’Iran et l’Arabie saoudite, les menaces de plus en plus précises de l’ayatollah Khameiny contre « le cancer sioniste » qu’il entend « éradiquer » par l’arme nucléaire, les menaces iraniennes sur le détroit d’Ormuz, tous ces évènements ont fait perdre au conflit israélo-palestinien sa « centralité » d’hier. Il n’y a guère qu’en Europe où la diabolisation d’Israël fonctionne encore. Faute d’avoir su donner aux enfants de l’immigration les emplois correspondant à leurs qualifications, on cherche à les enfumer dans une pseudo-communion suspecte dont la figure du Juif est la victime commode. Le vieil antisémitisme, d’origine chrétienne comme d’origine musulmane, trouve là une reconversion particulièrement inquiétante.
L’actualité brûlante, ce sont, en particulier, les atrocités commises par le régime syrien contre sa propre population. Elles méritent l’attention des grandes consciences que vous êtes d’une manière peut-être plus pressante que les appels au boycott des produits israéliens. Pour donner un ordre de grandeur, je signale que l’Opération Plomb Durci,lancé par Israël contre Gaza d’où partaient des tirs de roquettes qui ont ensanglanté le Sud du pays, a fait 1 315 morts, parmi eux des militaires – mais hélas aussi des civils – entre décembre 2008 et janvier 2009. Le régime d’Hafez El-Assad a déjà tué plus de 6 000 de ses propres ressortissants, la quasi-totalité étant des civils. Comme vous avez qualifié la première opération de « crime de guerre » et de « crime contre l’humanité », j’imagine que vous aurez à cœur de proposer la même inculpation contre le régime de Bachar El Assad, ou encore contre les auteurs des atrocités commises contre les minorités chrétiennes en Egypte et ailleurs dans le monde arabo-musulman…
par Brice Couturier
Lien pour écouter la chronique :
28.02.2012 – 08:16