La «question juive» est résolue. Les Juifs ont disparu de la (mauvaise) conscience française. On n’en parle plus ou si on en parle c’est au passé et…
Par Frédéric Sroussi
Les Juifs sont oubliés, «ceux qui rappellent l’Oublié »,comme l’écrivait Jean-Francois Lyotard, ont fini par être oubliés eux-mêmes. Oubliée car écartée, la communauté juive est devenue le lipogramme symbolique de la société française pour laquelle l’ histoire doit s’ écrire sans les Juifs.
Nous ressentons cette impression étrange que les Juifs ont disparu de la scène politique et sociale en France. Leur avis, leurs problèmes n’intéressent plus ou pire, ils ne sont pas pris au sérieux. Depuis les années 1990, l’intérêt de la société française se porte sur les étrangers issus des minorités visibles. Or, ce terme n’est-il pas destiné à écarter la minorité juive, celle qu’on ne veut et ne peut plus voir, celle qui est devenue de facto «invisible» par opposition aux minorités visibles ? Peut-être qu’en fait c’est une bonne nouvelle. La «question juive» a trouvé une apaisante réponse; oui mais alors pourquoi l’antisémitisme a-t-il pris depuis les années 2000 une telle ampleur ? Pourquoi les attaques contre les Juifs qui ont atteint un paroxysme avec le meurtre abominable d’ un des leurs (le kidnapping, la torture puis l’assassinat du jeune Ilan Halimi), sont, soit traités comme des faits divers (l’«affaire» Ilan Halimi, justement), soit sont carrément passés sous silence?
La réalité paraît-être celle-ci : même les victimes juives dérangent. Les plaindre serait leur montrer de la sympathie et cela est inacceptable…
C’est aussi pour cela que le pire crime de toute l’histoire de l’humanité qu’est la Shoah est de plus en plus «dilué» dans une sorte de soupe fade dans laquelle les ennemis des Juifs jettent tous les pseudo-crimes contre l’humanité qui leur passent sous le nez.
Cette méthode – tragiquement efficace au demeurant – n’est pas nouvelle puisque le grand Vladimir Jankélévitch stigmatisait déjà cette imposture historique dans sonindispensable et essentiel recueil de textes intitulé l’Imprescriptible. Cet ouvrage dénonçait déjà dans les années 1970(!) la tentative immonde de comparer le génocide inouï et unique des Juifs (du fait de son aspect systématique, industriel, sélectif, international, etc.) avec tout et n’importe quoi. Ainsi, comme l’ écrivait Jankélévitch, «le résultat de ces comparaisons ne se fait guère attendre : au bout d’un certain temps personne ne sait plus de quoi il s’agit. Ce qui était évidemment le but recherché ».
Jean-François Lyotard, était-il trop optimiste lorsqu’il écrivivait qu’après l’extermination des juifs d’Europe,«les juifs assassinés en masse sont, absents, encore plus présents que présents. » (Jean-François Lyotard ; Heidegger et les«les juifs »).La société française (mais elle n’est pas la seule, loin de là !) a-t-elle réussi à dissoudre la présence même de cette absence ? On peut le penser…
Par un tour de passe-passe, la France a fait disparaître les victimes juives en les «remplaçant» par des pseudo-victimes, celles-ci politiquement correctes , celles-ci dignes de compassion car non-juives. Le fait que ces pseudo-victimes sont majoritairement les responsables de la hausse sensible des actes antisémites font de ces «opprimés» une réelle bénédiction pour les antijuifs de tous bords.
Ce texte veut seulement souligner que l’antisémitisme ( «cette passion au monde la mieux partagée», comme l’écrit Michel Winock) est depuis les années 2000 plus féroce que jamais et que la France devrait faire au plus vite son examen de conscience face à ce problème essentiel et malheureusement d’ une actualité toujours aussi brûlante.
Frédéric Sroussi pour Israël-flash