Les implications pour Israël et le monde.
Les Palestiniens cherchent depuis quelques mois à être admis à l’Onu en tant que nation indépendante et souveraine. Israël redoute une telle éventualité. Pourquoi ces deux positions ? Je réponds aux questions de Kountrass, un magazine orthodoxe israélien.
KOUNTRASS : Parlons d’abord des Palestiniens. Que pensent-ils gagner avec une telle reconnaissance de la part des Nations du monde ? Les Palestiniens, ou plus exactement les confréries politico-militaires qui dominent la société arabe palestinienne, avaient remporté une victoire considérable en 1993, avec les accords d’Oslo, qui légitimaient leur action et mettaient en place en Cisjordanie et à Gaza un Etat autonome, l’Autorité palestinienne. Mais elles ont ensuite subi de lourdes défaites au cours des années 2000 : le Fatah de Yasser Arafat s’est pratiquement désintégré dans la folle aventure de la Seconde Intifada, en 2000-2002 ; le Hamas, qui avait gagné les élections palestiniennes de 2006, n’a pas su prendre le contrôle de l’Autorité palestinienne et a du se replier sur son fief traditionnel, Gaza, où il a institué, de facto, un Etat séparé ; le même Hamas a été militairement laminé lors de l’opération Plomb Fondu, au début de 2009, et ses contre-attaques médiatiques (le rapport Goldstone, l’affaire des « flottilles ») n’ont pas eu, en définitive, l’impact espéré. Ultime revers : le revirement de Barack Obama, le plus pro-arabe et pro-palestinien des présidents américains, contraint depuis 2010, pour des raisons de survie politique, à se rapprocher d’Israël. Dans un tel contexte, les Palestiniens cherchent leur salut à travers une « gesticulation » : leur reconnaissance par l’Onu en tant qu’Etat et nation. Au minimum, cela renforcerait à nouveau leur légitimité, dix-huit ans après Oslo. Au maximum, cela pourrait faire d’Israël un « agresseur » au regard de la charte de l’Onu, et donc le rendre passible de diverses sanctions internationales. K : Israël ayant admis le principe d’une entité palestinienne depuis Oslo au moins, comment peut-il s’opposer aujourd’hui à une reconnaissance internationale de cette entité ? Les accords d’Oslo de 1993, garantis par les Etats-Unis et avalisées par l’Onu, devaient assurer la transformation des organisations palestiniennes en organisations politiques civiles et la création d’un Etat palestinien coexistant pacifiquement avec Israël dans le cadre du droit international. Cette évolution n’a jamais eu lieu. De même la « feuille de route » de 2002 qui, sous l’égide du « Quartet » (Onu, Union européenne, Etats-Unis et Russie), liait l’indépendance palestinienne à la mise en place d’institutions démocratiques et à la renonciation effective aux agressions et au terrorisme, est-elle largement restée lettre morte. Enfin, l’Etat palestinien souverain dont il est question aujourd’hui inclurait l’Etat-Hamas de Gaza, qui rejette explicitement à la fois Oslo et la « feuille de route ». Faire reconnaître un Etat palestinien par l’Onu dans ces conditions reviendrait donc à entériner des violations répétées d’accords et d’engagements bilatéraux ou internationaux, ou à violer directement ces accords ou engagements. Ce serait un danger mortel pour Israël. Mais aussi une atteinte sans précédent à la légalité internationale. Israël a raison de s’opposer à une telle initiative. Et ses arguments n’ont pas laissé les Etats qui attachent de l’importance au droit international ou au droit tout court. En fait, la principale difficulté que rencontrent aujourd’hui les Israéliens n’est pas tant de convaincre tel ou tel Etat du bien-fondé de leurs thèses, que de leur faire comprendre que soutenir « en principe » l’indépendance palestinienne aura des conséquences réelles dramatiques. Beaucoup de pays voudraient « faire plaisir » à la fois aux Israéliens et aux Palestiniens. Et ont du mal à comprendre qu’il faut choisir. K : Mais Israël n’a-t-il pas sa part de responsabilité, puisque les négociations de paix sont au point mort ? Les négociations sont bloquées parce que les Palestiniens refusent d’honorer leurs engagements. Du côté israélien, toutes les concessions ont été faites. Le gouvernement Nethanyahu, comme les gouvernements Sharon et Olmert avant lui, a accepté explicitement l’idée d’un Etat palestinien indépendant et souverain en Cisjordanie et à Gaza. Gaza a été évacué, ce qui a impliqué le démantèlement de nombreuses implantations et l’expulsion, dans des conditions peu humaines, de milliers d’Israéliens. Aucune implantation nouvelle n’a été créée en Cisjordanie depuis dix ans. Les constructions de logements ne se poursuivent que dans des implantations existantes, relevant d’Israël selon les accords d’Oslo et destinées, au moins pour les plus importantes, à être rattachées à Israël moyennant un échange de territoires avec une future Palestine arabe. Rappelons au passage que « Jérusalem-Est », c’est à dire l’ensemble des quartiers de Jérusalem situés à l’est de la ligne verte, y compris la Vieille Ville, sont considérés comme des « implantations » dans la logique d’Oslo. On peut penser ce qu’on veut de cette politique, s’interroger sur son efficacité ou sur sa valididité halakhique. Mais on ne peut nier que ce soit une politique « colombe », fondée sur le principe : « La paix contre les territoires ». La seule différence entre le Nethanyahu actuel et Shalom Ahshav, c’est que le premier ne veut pas faire des concessions sans contreparties, et que le second s’imagine que des concessions sans contrepartie hâteront la paix et renforceront Israël. K : S’il en est ainsi, pourquoi la communauté internationale, ou du moins une large partie de cette communauté, refuse-t-elle de reconnaître le bon droit et la modération d’Israël ? La « communauté internationale », cela n’existe pas. Il y a d’une part une cinquantaine de « Puissances », d’Etats qui disposent à la fois du pouvoir économique et de la force militaire : les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’Onu (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni), les membres du G-20 ou de l’OCDE (y compris Israël), quelques autres pays émergents. Et d’autre part quelque cent quarante « non-Etats » : des pays quasi-fictifs, sans territoire ou sans population, tels que Monaco, le Vatican, Nauru, etc ; des pays où l’Etat ne fonctionne plus ou n’a jamais fonctionné, de Haïti à la Somalie ; ou qui végètent dans le sous-développement économique, les blocages culturels, les archaïsmes de toutes sortes. Tout se joue au niveau des Puissances. Certaines d’entre elles sont relativement favorables à Israël, d’autres relativement hostiles. Les « non-Etats » ne font que suivre, en fonction d’intérêts matériels étroits ou de solidarités culturelles ou religieuses. Il se trouve, malheureusement, que l’Assemblée générale des Nations Unies, où tous les Etats, grands ou petits, réels ou fictifs, fonctionnels ou non-fonctionnels, disposent de la même voix, est actuellement dominée par une majorité anti-israélienne. Et que certaines Puissances appartenant à la minorité pro-israélienne ou neutre n’ont pas compris à quel point il était nécessaire, au nom du droit international, de contrer la campagne en faveur de la souveraineté palestinienne. K : Y compris la France ? L’opinion française est encore assez partagée sur Israël : il y un fort courant anti-israélien, mais aussi des poches de résistance pro-israéliennes. Mais la technostructure qui dirige le pays est quant à elle, pour de multiples raisons, à commencer par un certain héritage gaullien, largement anti-israélienne. K : Et les médias ? Pourquoi sont-ils majoritairement hostiles à Israël ? Rares sont, dans le monde actuels, les médias qui disposent d’une certaine liberté et recherchent une vérité objective. La plupart dépendent de gouvernements, de « tycoons » sans culture, foi ou éthique, ou du « politiquement correct », qui est l’arme du prolétariat intellectuel. En France, la situation n’est pas très brillante à cet égard. Mais dans ce pays de très vieille et très haute culture, on trouve encore des intellectuels de qualité, capables, comme Emile Zola pendant l’affaitre Dreyfus, d’écrire des « J’accuse ». K : Majorité anti-israélienne à l’Onu, médias hostiles : à vous entendre, Israël est donc condamné ? Non, pas du tout. Les Pirqei Avoth nous enseignent que les Etats ne se préoccupent que de leurs intérêts. Les politologues disent la même chose dans un lashon (un « langage », un appareil conceptuel et terminologique) différent : tout, à leur niveau, se décide à travers des rapports de force. En 1975, l’Amérique et le monde occidental, pro-israéliens dans l’ensemble, semblaient être sur le déclin : l’Onu a donc voté la résolution assimilant le sionisme au racisme. En 1991, l’Amérique venait de gagner la guerre froide, l’URSS se désintégrait, et le monde entier se ralliait aux valeurs occidentales : l’Onu a donc abrogé cette même résolution. Aujourd’hui, l’Amérique est à nouveau faible et le monde occidental en crise : d’où les efforts pour que l’Onu vote à nouveau une résolution anti-israélienne. Si demain l’Amérique retrouve sa puissance, ou si un autre pays pro-israélien ou pro-juif assume le leadership international, Israël sera réhabilité. La plupart des Puissances qui vont façonner le XXIe siècle ont une assez bonne opinion d’Israël, en raison de leurs propres intérêts. Les Etats-Unis sont très pro-israéliens. L’Inde aussi. La Chine l’est de plus en plus. La Russie reste assez proche d’Israël dans bien des domaines. Le Canada et l’Australie sont, globalement, pro-israéliens. Cela fait quand même le tiers de l’humanité, le tiers de sa richesse, la moitié de son potentiel scientifique et technologique. La seule région importante du monde développé où l’anti-israélisme progresse fortement, c’est l’Union européenne. Même si certains pays, en dépit ou en raison d’un passé antisémite, y font office de contrepoids : l’Allemagne, la Pologne… K : Pourquoi Kadima ou la gauche israélienne s’obstinent-ils à présenter Nethanyahu comme un nationaliste extrémiste ? Politique politicienne. Mais aussi servilité envers des milieux intellectuels européens ou américains défavorables à Israël. Et plus profondément, perte de foi dans la singularité du destin juif. K : Imaginons que l’Onu reconnaisse un Etat palestinien : celui-cu peut-il se doter d’une armée et gérer son avenir stratégique comme n’importe quel pays, sans qu’Israël ne puisse plus rien dire ? Dans la tradition occidentale et dans le droit international moderne qui en est issu, on définit la souveraineté comme l’exercice des fonctions dites « régaliennes » (en latin, les regalia, ou « droits du roi », ce qu’on pourrait traduire en hébreu par dinei malkhuth ) : faire la guerre, rendre la justice, lever l’impôt, battre la monnaie, édicter des lois et en assurer l’exécution. Le point commun entre ces fonctions est de reposer sur la force brute, le droit de vie ou de mort : le souverain (roi au sens classique ou Etat) peut contraindre physiquement ses sujets à lui obéir ; il peut leur ôter la vie, la liberté, leurs biens. Bien entendu, le souverain ne recourt pas sans cesse à la force. Mais c’est dans la mesure où il pourrait y recourir, au moins théoriquement, qu’il est obéi. Les deux Etats palestiniens qui existent actuellement de facto, l’Autorité palestinienne en Cisjordanie et l’Etat-Hamas à Gaza, exercent certaines fonctions régaliennes. Si un Etat palestinien indépendant était reconnu par l’Onu, il pourrait théoriquement les exercer toutes, et notamment faire la guerre à sa guise, ou organiser sa vie militaire ou sécuritaire à sa guise. Mais de même qu’un souverain ne recourt pas nécessairement à la force face à ses sujets, un Etat souverain peut renoncer, face à d’autres Etats, à certains attributs de sa souveraineté. C’est le cas de tous les Etats qui signent des traités : ces textes l’emportent sur leur législation interne. C’est le cas des Etats membres de la zone euro, qui ont volontairement renoncé au droit de battre monnaie ou plutôt l’ont délégué à une instance communautaire, la Banque centrale européenne. C’est enfin le cas, sur le plan militaire, de l’Autriche qui, en recouvrant sa pleine et entière indépendance en 1955, après dix ans d’occupation occidentale et soviétique, s’est engagée par traité à un statut de neutralité absolue. Ce traité reste en vigueur aujourd’hui, vingt ans après la fin de la guerre froide. Rien ne s’oppose donc, en théorie, à ce qu’un Etat palestinien indépendant soit doté d’un statut de neutralité ou de démilitarisation. Rien – sauf la raison d’être des organisations palestiniennes, qui est le pouvoir pour le pouvoir, et la lutte contre Israël pour justifier cette quête du pouvoir. K. Que signifient les attaques récemment lancées par le Hamas ou ses satellites dans le Négev et dans la région de Gaza ? Elles s’inscrivent dans trois stratégies différentes, mais plus ou moins liées. Premièrement, soulager la Syrie de Bashar al-Assad en ouvrant un “second front » israélo-palestinien : ce qui permettrait au dictateur syrien de justifier la répression au nom de “la lutte contre l’ennemi sioniste”. Deuxièmement, créer une situation de crise et donc d’urgence à la fois israélo-palestinienne et israélo-arabe (avec l’Egypte) qui pourrait amener la “communauté internationale” à reconnaître un “Etat palestinien indépendant” à l’Onu et à faire pression sur Israël pour évacuer le territoire de cet Etat, dans les lignes de 1949-1967. K : Ce drame ne revêt-il pas progressivement une dimension « messianique » ? Le Ruv (le Rav Haïm Yaakov Rottenberg, zatsal), dont j’ai été un bien modeste disciple et que j’ai consulté à plusieurs reprises, m’a donné pour instruction pratique (halakhah lemaaseh) de ne pas entrer dans des considérations philosophiques ou mystiques en tant que journaliste ou analyste. Je m’en tiens à cet enseignement. (c) Michel Gurfinkiel 2011. |