Les amateurs de langue de bois ont eu de quoi être amplement satisfaits ces jours derniers à Deauville pour le sommet du G8. Censé être le sommet des pays les plus développés du monde : il a été surtout, au regard des comptes courants des pays concernés (à deux exceptions près, l’Allemagne et le Canada), le sommet des pays les plus endettés du monde.
Que font les dirigeants des pays les plus endettés du monde quand ils se rencontrent ? Des déclarations pleines d’autosatisfaction censées décrire la réalité, mais qui n’ont que fort peu de rapports avec celle-ci.
Il n’a pas été question de l’endettement, non, bien sûr. Il a été question, dans la bouche de dirigeants de pays de la zone euro, de la monnaie unique européenne, et il a été proclamé que celle-ci se portait très bien. Ni la Grèce, ni le Portugal, ni l’Irlande, ni l’Espagne n’ont eu leur mot à dire sur le sujet : ils n’étaient pas sur la liste des invités. Les journalistes économiques qui parlent du caractère intenable des subterfuges mis en place pour maintenir la zone euro intacte n’étaient pas invités non plus.
Il a été question des opérations en Libye, et là encore, les propos ont été très rassurants : la guerre sera bientôt finie, Kadhafi doit partir, et il partira. Le fait que les opérations soient engagées depuis plus de deux mois et ressemblent à un piétinement n’a pas été évoqué. L’objectif de « protection des civils » a été utilisé de manière éhontée. Les massacres d’Africains noirs à Benghazi, l’antisémitisme qui règne dans cette ville, la présence parmi les « rebelles » de dirigeants de mouvements islamistes et d’al Qaida au Maghreb islamique, sont des sujets que nul n’a abordé, tout comme nul n’a parlé de ce qui devrait se mettre en place dans l’après Kadhafi. Une opération inepte, menée d’une manière elle-même inepte, peut-elle déboucher sur des résultats qui ne seront pas, eux-mêmes, ineptes ? Ceux qui se le demanderaient resteront sur leur faim.
Bachar el Assad a fait l’objet de remontrances, et certains, dont Nicolas Sarkozy, le maître de cérémonie, se sont déclarés déçus par lui. On le serait à moins. Nulle action n’a été envisagée pour « protéger les civils » syriens. Si Kadhafi, plutôt que de se rapprocher du monde occidental en 2003 s’était tourné vers l’Iran, sa situation aujourd’hui serait plus confortable.
Israël n’a pas été oublié, et si les appels à un retour immédiat aux « frontières » de 1967 énoncés par l’ancien musulman de la Maison Blanche n’ont pas fait l’objet d’un communiqué officiel, c’est uniquement grâce au courage et à la droiture éthique de Stephen Harper, Premier ministre du Canada, brillamment reconduit dans ses fonctions lors d’élections récentes. Ne cherchez pas courage ou droitière éthique du côté du 10 Downing Street, des bureaux de la Chancelière à Berlin ou de l’Elysée, ce sont des mots qu’on ne prononce pas en ces lieux en ce moment.
Les paroles les plus belles prononcées à Deauville, celles qui devraient valoir aux participants la remise d’une langue de bois sculptée et signée par un artiste de renom, sont, cela dit, celles qui ont concerné le « printemps arabe ». Car, oui : Obama, Cameron, Sarkozy et les autres ont vu un printemps arabe ». Ils ont vu la démocratie fleurir, et cela leur a fait plaisir. Cela leur a fait tellement plaisir qu’ils ont décidé d’accorder une aide financière qui s’élèvera en tout à quarante milliards de dollars aux pays du « printemps ». L’Egypte a semblé les enthousiasmer particulièrement.
Ne dites pas à Obama, Cameron, Sarkozy et les autres que leurs pays sont déjà endettés bien au delà du raisonnable, ils ne vous écouteraient pas, et il se pourrait même qu’ils vous répondent qu’au point où ils en sont, s’endetter davantage pour le « printemps » n’aura que peu de conséquence. Quand on s’approche de la banqueroute, autant le faire avec le sourire et jeter l’argent des contribuables par les fenêtres grandes ouvertes, non ?
Ne dites surtout pas à Obama, Cameron, Sarkozy et les autres que l’Egypte qui les rend extatique, est en train de passer sous le contrôle des Frères musulmans, qu’en Tunisie, les élections, prévues pour le 24 juillet devraient se traduire par une poussée d’Ennahda, et qu’au Yemen, le pays est lui-même en train de glisser entre les mains d’al Qaida et des islamistes, ils pourraient vous rétorquer que les Frères musulmans, Ennahda et les autres islamistes sont des démocrates et incarnent l’espoir. Ne leur dites pas non plus que les économies tunisienne et égyptienne sont en chute libre, ils ne vous croiraient pas.
Chez ces gens-là, on ne pense pas : on parle. Et pour garder le rythme, on profère un mensonge par mot. Certains appellent cela faire de la politique : ils n’ont pas trouvé de métier plus honnête à exercer. Les journalistes venus sur place ont doctement répété les mensonges, comme si les mensonges étaient la stricte vérité. Ils appellent cela faire du journalisme : ils ont des familles à nourrir et ont laissé depuis longtemps leurs derniers scrupules au vestiaire.
Je dois être très idéaliste : je rêve d’hommes politiques dignes et de journalistes scrupuleux. Deux espèces très menacées sur cette terre : les derniers spécimens existant sur la planète ressemblent à des exceptions qui ne font que confirmer la règle.
L’une de ces exceptions en politique s’appelle Lech Walesa : en déplacement en Pologne, l’ancien musulman de la Maison Blanche, l’homme qui veut trinquer avec la reine d’Angleterre pendant le God Save the Queen, voulait rencontrer Walesa. Celui-ci a refusé. Je le comprends.
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© Guy Millière pour Drzz.fr
PS : Un plaisantin a osé faire des affiches sur lesquels il était écrit « G8 France 2011. Nouveau monde. Nouvelles idées ». C’était amusant : le nouveau monde est un fantasme déconnecté des faits. Les nouvelles idées sont aux abonnés absents. Il y a encore des gens qui savent s’amuser.
PS2 : On me signale que le plaisantin travaille officiellement pour la présidence de la république française. Ce n’était donc pas une plaisanterie ? Cela s’appelle alors se ficher du monde et des idées. Du coup, j’ai choisi, pour illustrer cet article la salle de réunion avec les fauteuils vides : les fauteuils vides, au moins, ne mentent pas. Il est des jours où je préférerais voir le pouvoir politique exercé par des fauteuils vides.