Hier encore, on suggérait que la Syrie dirige le Liban en sous-main et dispose de puissants réseaux d’indicateurs lui décrivant les faits et gestes de ses adversaires au pays du Cèdre. Depuis hier, il semble que la tendance s’inverse, puisque l’Ambassadeur syrien au Liban accuse un membre du Bloc du Futur (autour d’Hariri), Jamal Al Jarrah, de fomenter les troubles chez son voisin dominateur et de transférer des armes aux insurgés. De ce qu'on vient de dire, gageons qu'il a pu être assez simple de monter une mystification, où des agents de Damas acceptent de réaliser un faux transport d’armes et de se faire, comme par hasard, épinglés comme des novices à la frontière pour attester de l’existence de ces passages d'armes clandestins.
L’artillerie lourde du mensonge dont Damas est capable était, au même moment, dévoilée par deux sources : l’une sur facebook, à partir de documents officiels restant à authentifier ; l’autre, par les renseignements américains ayant intercepté des communications entre Téhéran et les services de la capitale syrienne :
Des instructions fournies aux services de police et aux ambassades syriennes détaillent précisément la marche à suivre pour confondre les rebelles au régime alaouite :
– Il s’agit, pour que la répression passe sous les radars de la « Communauté internationale », de limiter le nombre officiel de tués quotidiens à 20 morts.
– La police secrète doit, ensuite, tuer des militaires, pour confondre "l’ennemi" et attiser l’animosité de l’armée contre lui.
– Il faut relier ces manifestations aux figures haïes par la « populace » syrienne, en désignant l’influence des Saoudiens, des Libanais, des Sionistes et des Etats-Unis.
– Il faut encore enrôler des officiers druzes et chrétiens pour alimenter les haines sectaires.
– Faire parler devant les caméras des « témoins » dotés d’un narratif favorable au régime.
– Enrôler des célébrités médiatiques qui donneront la même image favorable.
– Il va de soi qu’un contrôle total d’internet et des médias s’impose.
– D’autre part, la CIA reconnaît, enfin, l’implication massive de l’Iran et du Hezbollah, d’une part, dans ce type de « maintien de l’ordre » à la Pasdaran, où tous les coups sont permis ; ils font l'inverse, dans l’incitation à la révolte chez les voisins du Golfe, au Bahrein et ailleurs, mais aussi, et c’est sûrement dangereux, en renforçant les liens naturels entre Chi’ites irakiens et Bahreïnis, pour les pousser à s’armer contre l’Arabie Saoudite.
Les éléments nouveaux, générateurs de panique, au sein de l’appareil de répression irano-syrien viennent s’ajouter les uns aux autres, jour après jour. ils démontrent l’incapacité de ces mesures, même avec l’appui avéré de Téhéran et du Hezbollah, à mettre un frein au puissant mouvement de contestation qui traverse, désormais, toutes les couches de la société : Universitaires de Damas, Sunnites d’Alep, mais aussi Druzes de Sweida, Kurdes du Nord-Est et même Alaouites défavorisés, qui ne veulent pas passer pour des collaborateurs du régime et être l’objet de vengeance si et quand le régime tombera. Maltraités par leurs propres coreligionnaires, ils n’ont rien à perdre à la chute d’Assad, sauf d’en faire les frais, en tant que minorité bouc-émissaire.
La fin de la prière de ce vendredi sera un nouveau signal d’alarme pour le clan Assad. D’autant que des rumeurs de fuite de certains hauts dignitaires du régime mettant leur famille à l’abri, ont des relents d’escapade à la Ben-Ali.
Contrairement à la « vraie-fausse » révolution égyptienne qui n’a finalement profité qu’aux favoris des Frères Musulmans et à leur rappel de la Chari’a, le mouvement multiconfessionnel et multiethnique syrien a, peut-être, plus de chance, quoique plus de difficultés aussi, d’éviter de tels écueils. Il paraît plus proche des revendications de droits civiques, idéaux partageables par l’ensemble des groupes. L’approche multiconfessionnelle est bien une composante de l’identité syrienne qui lui donne sa similarité avec son voisin libanais. Il est clair qu'il déstabilise tant Assad que ses alliances.
D’après les observateurs un peu habilités, ce qui n’est pas le cas des chancelleries occidentales affairistes, les Frères Musulmans restent un parti extrêmement faible en Syrie et parmi les exilés. Son compte Facebook, par exemple, compte à peine 400 adhérents, sous l’égide de Mohamed Riyad Shaqfeh. Abu Bassira al-Tartoussi (de Tartous) s’est, quant à lui, fait tout petit à Londres et clame à qui veut l’entendre qu’il s’oppose aux attentats-suicide.
Comparativement, la page de la révolution syrienne, malgré la censure qui s’abat sur elle, compte 110. 000 membres. Hussain Abdul Hussain, du journal Al Raï, à Washington, évalue les chances de la confrérie à quasi-nulles. Certains d’entre eux, parce que minoritaires, ont rejoint Al Qaeda, comme Abu-Mosaab al-Souri (alias Mustafa Sit-Maryam) impliqué dans les attentats de Madrid et de Londres.
Les groupes d’opposition kurdes sont bien plus représentatifs des aspirations à plus de liberté et d’expression culturelle. Ils sont, surtout, un groupe-charnière, dispersé sur les trois frontières avec l’Iran, l’Irak (Kurdistan autonome) et la Turquie. Et c’est une des raisons principales pour lesquelles les régimes qui soutiennent Assad sont inquiets. Leur dirigeant charismatique Mishal al-Tammo est emprisonné depuis 2009 pour 3 ans et demi, au simple motif de « faible moralité nationale ». Habib Ibrahim, ancien prisonnier politique, prend actuellement une part active dans les protestations.
D’autres opposants des droits civiques, tels que Riad Turk, Aref Dalida –qui a dénoncé le cousin d’Assad, le gangster Rami Makhlouf pour l’étendue de la corruption du régime-, Anwar Bunni, avocat inlassable des droits de l’homme, Haitam Maleh, ancien Juge, Ahmad Tumeh, médecin respecté, Fawaz Tello, Mamoun al-Homsi en exil au Canada, Mouamaz al-Katib, ou la dirigeante de l’organisation Sawasiah, Montaha al-Atrash, fille de Sultan Pacha, qui mena la révolte contre les Français, ou encore Suhair al-Atassi, sont toutes et tous des personnalités de valeur qui appuient, par leurs déclarations, jusqu’à leur emprisonnement, le mouvement en cours.
Les citer revient à dire que ceux qui, au sein des cercles diplomatiques occidentaux, désinforment sciemment pour afficher le régime syrien comme la seule alternative contre le déferlement des islamistes, sont les complices du calvaire du peuple syrien. Alors que l’Administration Obama, Nicolas Sarkozy et David Cameron ont eu un mal fou à identifier des dirigeants rebelles crédibles à Benghazi, cette liste leur éviterait cette peine ou de protéger des éléments d’al Qaeda au sol, en leur offrant un appui aérien.
La reconnaissance par la Maison Blanche, de l’engagement de l’Iran auprès de son commissionnaire Assad ou aux côtés des insurgés chi’ites est un premier signe qu’on écarquille péniblement les yeux, sans toutefois, vouloir s’en mêler. Les accusations d’Assad contre le jeu des puissances qui l’environnent, sont un aveu en creux -un lapsus- qu’un combat féroce, bloc contre bloc, est en cours, bien que les alliés objectifs ne soient pas toujours conscients de leur lutte à l’intérieur du même camp.
Il est, désormais, certain qu’Obama ne fera rien de concret pour le Moyen-Orient. Et, même, il est presque préférable, du fait de sa profonde myopie quant aux enjeux, qu’il ne fasse rien ! Il devient impératif, du simple fait d’être « mis dans le même sac » que Saoudiens et Israéliens scellent un pacte, semblable à celui entre l’Amérique et l’Union Soviétique, durant la Seconde Guerre Mondiale : à savoir qu’ennemis idéologiques, ils ont néanmoins, face à eux, les mêmes challengers, tous les désaccords fondamentaux mis temporairement de côté.
Israël est plus loyal qu’Obama envers ses alliés arabes : il a soutenu Moubarak, quand la Maison Blanche appelait à le révoquer sine die. L’Etat Hébreu soutient à bouts de bras le petit roi de Jordanie, face aux remuants palestiniens et aux frères musulmans du royaume.
Les campagnes antisionistes ne sont plus du tout, une garantie de survie d’un régime, comme le démontrent les cas de la Syrie, de la Libye.
Le principal danger pour tous reste l’Iran, même si Assad tombait. Wikileaks l’a assez répété.
Prioriser un Etat palestinien n’apporte aucune garantie que celui-ci ne tombe, la semaine suivante, entre les mains du Hamas, allié de l’Iran. Une prise de pouvoir à Ramallah comme à Gaza mettrait directement en péril l’équilibre instable de la Jordanie, donc des autres Sunnites, par effet-domino. L’Arabie Saoudite se trouverait, ainsi, encerclée par le Nord-Ouest, l’Irak, l’Iran, le Yémen, etc.
Le Gouvernement Netanyahou perd son temps à tenter de persuader Américains et Européens que cette solution à deux-Etats ne ressemble à rien de crédible, à l’heure du grand déballage arabe et de la pression qu’ils ont réussi à instaurer depuis l’Egypte contre Israël et contre les pays du Golfe. Ces alliés occidentaux ont démontré l’ampleur de leur manque d’acuité visuelle et vivent dans un déni permanent, la tête cachée dans les sables mouvants.
Il y a plus urgent et prioritaire à faire si on veut lucidement reconstruire les conditions de la stabilité au Moyen-Orient, sans l’interférence des démagogues de l’Ouest, voués à tirer des plans sur la comète. Il est temps que les Orientaux s’occupent eux-mêmes de leurs propres affaires, hors des ingérences postcoloniales.
Aschkel.info – Marc Brzustowski