Au moment où je rédige cet article, la situation en Tunisie reste très confuse, des manifestations ont lieu dans d’autres pays du monde arabe, le Hezbollah affermit son emprise sur le Liban, et, surtout, la situation en Égypte est insurrectionnelle.
L’effet de contagion tant redouté semble se produire. Ce qui semble en train de voler en éclats est l’ordre établi depuis des décennies dans le monde arabe. Cet ordre a été décrit comme intenable par les néo-conservateurs et par George Walker Bush, qui entendait impulser une démocratisation aussi vaste que possible et soulignait que des dictatures corrompues créaient des frustrations alimentant les risques d’explosion et l’islam radical lui-même : c’est ce qui a constitué l’épine dorsale de la doctrine Bush.
Tous les adeptes du statu quo, tous les cyniques, tous les gens de gauche si vertueux, tous les xénophobes d’extrême droite se sont, bien sûr, déclarés hostiles. Le changement voulu par George Bush n’a pu aller jusqu’au bout de sa trajectoire. L’arrivée au pouvoir de Barack Obama a inversé la trajectoire. Les résultats commencent à devenir visibles.
La doctrine Obama consistait à s’appuyer sur des régimes dictatoriaux en préférant la stabilité ; dans le monde arabe, les régimes dictatoriaux apparaissent sur le point de voler en éclats. La doctrine Obama consistait aussi à pratiquer l’apaisement vis-à-vis de l’islam radical ; les tenants de l’islam radical ont pris les gages qu’on leur donnait et sont passés, plus nettement, à l’offensive. La doctrine Obama consistait enfin à considérer que les États-Unis devaient se désengager du monde musulman et à clamer que le dossier prioritaire était le conflit israélo-islamique ; cela débouche sur une déstabilisation générale, et Israël se trouve de plus en plus isolé et encerclé par des forces plus que jamais hostiles.
Il semble que l’administration Obama a lâché Ben Ali en Tunisie, ce qui ouvre la porte à une potentialité de démocratie à laquelle je donnais peu de chances voici une semaine, et à laquelle je donne des chances moins grandes encore aujourd’hui. Il semble que l’administration Obama ait noué des liens avec des opposants au régime égyptien à des fins qu’il faudrait élucider. Le discours tenu par Obama au Caire en juin 2009 – discours de dhimmi ou d’élève d’école coranique – a été interprété par les Frères musulmans d’une façon que diverses scènes de pillages et d’incendies rendent flagrante.
Si les chances d’une démocratisation, sous Obama, sont faibles en Tunisie, en Égypte, elles sont quasiment nulles. Si Moubarak devait tomber, il pourrait être remplacé par des généraux (la nomination d’Omar Souleimane à la vice-présidence ressemble à une transition en cette direction). Moubarak pourrait aussi partir dans un contexte de chaos à la tunisienne, ce qui ouvrirait la voie à la prise de pouvoir par les islamistes. Ce serait là un scénario de cauchemar pour l’ensemble du monde occidental.
Les inconnues dans l’équation sont, d’une part, l’attitude de l’armée dans les prochains jours, d’autre part, les capacités de mobilisation des Frères mu sulmans. Si les choix se situaient toujours entre une bonne et une mauvaise solution, la gestion de tous les dossiers serait simple : il arrive parfois que le choix se situe entre une très mauvaise solution et une solution pire. C’est le choix qui existe aujourd’hui en Égypte. La démocratisation telle que la concevait George W. Bush était une démocratisation graduelle, dans un contexte de réformes et de création d’institutions. Ce qui pourrait prendre forme en Tunisie, et ce qui prendrait forme sans aucun doute en Égypte si l’armée adoptait une attitude favorable à la « démocratie », reposerait non pas sur des réformes et des institutions, mais sur une dissolution dont le schéma de base pourrait être celui qui a pris place en Iran en 1979.
À cette époque, lorsque je rencontrais des gens qui me parlaient de l’équivalence avec 1789, je rappelais qu’après 1789, il y avait eu 1793. Sauf que, pendant la Révolution française, quatre ans se sont passés avant 1793. En Iran, le glissement n’a pris que quelques mois. En Égypte, il pourrait être tout aussi bref.Selon certains sondages, la population égyptienne serait favorable, à plus de 70 %, à l’instauration d’une république islamique…
Texte paru sur le site les4verites.com