En 2010, une professeur d’histoire d’un lycée français est mise à pied pour avoir « trop » enseigné la Shoah…
Catherine Pederzoli Ventura enseigne l’histoire, au Lycée Henri Loritz de Nancy. Depuis une quinzaine d’années, elle organise des voyages en Mémoire de la Shoah en Pologne, pour permettre à ses élèves de seconde, première et terminale de visiter les anciens camps d’extermination. Suite à un rapport de l’Inspection générale, Mme Pederzoli a été mise à pied au mois de septembre 2009, par le rectorat de l’Académie de Metz-Nancy, pendant 4 mois. La raison officielle ? Avoir prononcé trop de fois le mot « Shoah » plutôt que génocide, terme plus neutre et juridiquement fondé. A croire que les recteurs « neutres » écoutaient Mme Pederzoli en comptant le nombre de fois (14) ou elle avait prononcé le mot « Shoah » et 2 fois (seulement, « en passant ») celui de génocide. Nous avons eu le privilège d’obtenir une interview exclusive de Mme Pederzoli Ventura.
Michaela Benhaim : Pour quelles raisons, à la demande du recteur de l'académie de Nancy-Metz, avez-vous subi cette enquête sachant que les voyages pédagogiques que vous avez organisés pendant de nombreuses années en Pologne se sont toujours déroulés avec succès ?
Catherine Pederzoli Ventura : la proviseure arrivée en septembre 2007 dans mon lycée a tout fait pour interrompre ces voyages « au nom de l'Europe », « il faut passer à autre chose », les syndicats de « gauche » du lycée lui ont emboîté le pas, me reprochant de ne pas parler des « tirailleurs marocains », lorsque j'affichais une exposition sur la rafle du Vel' d'Hiv , ils me demandaient : « quand nous parleras tu du génocide de Gaza ? ».
C'est facile d'ouvrir la boîte de Pandore, ils ont organisé un système de harcèlement, mais j'ai résisté ! Avec l'aide des parents d'élèves et des élèves, d'une grande partie de mes collègues: le voyage a bien eu lieu ! J’ai donc été accusée de manipuler les élèves qui ont eu une attitude d'une grande conscience et qui ont bien mesuré le danger d’interdire, de réduire un tel voyage ! Ma résistance a été la cause réelle de tous mes ennuis et des accusations calomnieuses.
M.B : Pensez vous que l’on va vers une banalisation de la Shoah ?
C.P.V : La volonté de banaliser la Shoah, de la réduire à un simple événement sur l'axe du Temps, est un mouvement qui se développe dans notre système scolaire par les cadres de l'institution et certains syndicats , alors que notre législation nationale prévoit cet enseignement et ce devoir de Mémoire de la Shoah, il ya des revirements étonnants sur le terrain surtout lorsqu'ils sont encouragés par des inspecteurs généraux qui sont chargés de la mise en œuvre de ces textes !!!
M.B : Le fait que vous soyez de confession juive a t-il changé la donne et permis d’affirmer que vous faisiez « un lavage de cerveau » aux élèves ou que vous aviez consacré trop de temps à l’enseignement de la Shoah ?
C.P.V : Un courant de pensée se fait jour en France : « ce n'est pas bon que ce soit fait par eux », ce serait de « nature obsessionnelle » (écrit dans le rapport de l'inspection générale) ; en m'accusant « d'avoir des pratiques sectaires à l'occasion de l'enseignement de la Shoah ». Ces inspecteurs généraux réactivent la « rumeur d’Orléans», à savoir exercer une fascination diabolique sur des élèves mineurs et innocents, et peut-être diffuser des idées sionistes auprès d'eux.
"L’enseignement de la Shoah connaît à travers cette « affaire » une tentative de délégitimation sans précédent depuis ces vingt dernières années! C’est pourquoi ceux qui aiment penser devraient se demander si et en quoi l'enseignement historique de la Shoah est capable ou non de venir à bout de l'antisémitisme en faisant comprendre à tous nos concitoyens pourquoi la vigilance contre son retour les concerne tous et non pas seulement ceux qui sont de confession ou d'ascendance juive. Cette affaire est beaucoup trop grave pour ne pas relever d'un virage préoccupant au plus haut niveau".
Voilà ce qu'écrit Nadia Lamm, Professeur de Philosophie à l'IUFM de l'Académie de Rouen, dans un de ses récents articles, intitulé :" Enseigner la Shoah de l'école primaire à l'université : à quoi bon?" (cf. lien sur Aschkel info : http://www.aschkel.info/article-enseigner-la-shoah-de-l-ecole-a-l-universite-a-quoi-bon-pour-une-psychotherapie-de-la-culture-par-nadia-lamm-66666417.html )
M.B : Les élèves appréciaient-ils ces voyages ?
C.P.V : Oui bien sûr ,la préparation faite en amont en équipe pédagogique dans les cours d'histoire et d'éducation civique ainsi que ceux de lettres permettent de faire prendre conscience de tous les visages de la Solution Finale en leur donnant à voir non seulement l'horreur des camps d'extermination mais les autres aspects de l'entreprise de purification dans laquelle elle s'insère ; montrer comment la Pologne était devenue en quelque que sorte le prototype d'une Solution Finale réussie , cette Pologne vidée de ces JUIFS, préfigurant l'Europe Judenrein, dont la défaite hitlérienne a empêché l'avènement.
Ils s'en souviennent car ceux qui ont fait ce voyage il y a dix ans par exemple, m'ont envoyé des lettres de soutien m'expliquant comment ce voyage les a marqués « transformés à jamais », comment ils expliquent autour d'eux pour faire comprendre « la monstruosité de la Shoah ».
M.B : Comment avez-vous vécu ces quatre mois de mise à pied, avez-vous été soutenue par des parents d’élèves, des élèves, des organismes ?
C.P.V : Mes adversaires avaient parié sur mon isolement pour mieux me détruire mais ils ont été très déçus ! Oui, le comité de soutien de Nancy composé d'élèves et des parents a été un élément moteur dans mon combat : je savais que ma lutte était juste!
Etienne Heymann président de la communauté juive de Nancy qui le premier a publiéson soutien en parlant « de scandale d'Etat » concernant le rapport des 2 inspecteurs généraux ! Le maire de Nancy, Mr André Rossinot, des députés, Claude Goasguen, Jean-Pierre Brard, Laurent Hénard, Richard Prasquier, président du CRIF, ont représenté un soutien actif de tous les instants ; les partis de gauche, eux, ont été silencieux ! Mais nos institutions ont été aussi silencieuses, comme le mémorial de la SHOAH, concerné en premier lieu par la stigmatisation du terme de Shoah, qui n'a pas voulu se mettre à dos le ministère, qui a refusé de s'interroger sur la probabilité d'un revirement des pouvoirs publics sur cette problématique, certains de ses membres ayant préféré relayer des rumeurs calomnieuses.
Je veux remercier, ici Guy Konopnicki porte-parole de mon comité de soutien ainsi que Michel Zerbib de RJ qui n’ont pas ménagé leurs efforts pendant ces 4 mois. C'est ainsi que j'ai tenu, rien cédé.
Et puis, il y a eu tous les journaux internationaux juifs et non juifs qui ont relayé les informations, pendant que les journaux français à part quelques uns jouaient l'omerta comme s'ils avaient reçu certains conseils de silence !
Merci à l'équipe de Primo- Europe pour son aide si précieuse, merci à Aschkel (Aschkel.info/Lessakele) pour son soutien lui aussi efficace, merci aux autres sites sur internet qui ont relaté l’information.
M. B : Au mois de janvier, à quelques heures de la réintégration dans vos fonctions au Lycée Henri Loritz, vous apprenez que vous êtes affectée dans un autre établissement. Comment réagissez-vous ?
C.P.V : Le recteur a convoqué un conseil de discipline le jour de la rentrée scolaire le 3/01/2011, alors que la fin de la suspension de 4 mois s'arrêtait le 31/12/2010. Il m'appliquait ainsi la double peine.
Avec mon avocat, Francis Terquem et mes 6 témoins nous nous sommes battus pendant 7h30 dans ce conseil de discipline sans aucune interruption. Ce combat était nécessaire ! Les griefs énoncés par le recteur étaient tous détachés de l'enseignement de la Shoah comme par enchantement ! J’ai été suspendue pourtant pendant 4 mois et conduite devant un conseil de discipline pour mon enseignement de la Shoah !!
La plaidoirie remarquable de Maître Terquem a été décisive, il a fait tomber tous les chefs d'accusation. Le conseil de discipline a prononcé une sanction-promotion puisque je suis nommée depuis le 3/01/2011 dans un lycée prestigieux de Nancy.
M.B : Le sujet de la Shoah est- il tabou, au point que son enseignement en devienne presque un crime ? Que devient le devoir de mémoire ?
C.P.V : Je cite à nouveau Nadia Lamm (cf article cité)" Les programmes scolaires ne font plus du tout référence à la nature de la civilisation juive et la réalité fécondante qu'elle représente pour la civilisation européenne moderne ; c'est cette armature civilisationnelle nouvelle qu'Hitler et le nazisme s'étaient donnés pour mission de détruire à la racine, en réduisant en cendres les derniers descendants de ses inspirateurs originels.
De plus, jamais l'enseignement scolaire, même au niveau universitaire, ne donne aux élèves la possibilité de réfléchir sur ce qu’Emmanuel Levinas a appelé « la philosophie de l'hitlérisme ».
Certains inspecteurs généraux d'histoire influencent en matière d'orientation idéologique, les programmes de l'école primaire de 2002 et 2008; ceux-ci donnent à apprendre dans une perspective apologétique la civilisation arabo-andalouse, représentant en cela une volonté de promouvoir une vision irénique de l'Islam, tandis que le coran figure désormais à côté de la Bible, comme « l'un des textes fondateurs » de la civilisation européenne. Un tel changement d'optique sur l'Islam, en France ne peut pas ne pas avoir de répercussions immédiates sur l'esprit de l'intégralité des programmes, notamment sur « les questions vives » comme l'histoire de la Shoah.
Dans les manuels scolaires laïques les juifs n'ont que le choix d'être insuffisants (religion juive), accusés (Dreyfus) victimes (du nazisme) ou coupables (Israéliens).
Ce qui est alors remis en question, c'est la possibilité de conserver à l’enseignement de la Shoah son caractère de poutre maîtresse de la sauvegarde de la démocratie ! La délégitimation de l'enseignement de la Shoah à l'école se double dans certains milieux d'un antisionisme radical.'
Alors, oui, l’enseignement de la Shoah est en danger, de même que le devoir de Mémoire, quand il n'est plus qu’un moment commémoratif.
Pour © 2011 le Magazine Le_Meteor © 2011 aschkel.info et © 2011 lessakele
voir l'article :de Nadia Lamm :
Enseigner la Shoah de l’école à l’université : à quoi bon? Pour une psychothérapie de la culture.