Mercredi, la classe politique israélienne, dont le Premier ministre Benyamin Netanyahou, a accusé Washington d'avoir bien vite retourné sa veste. En effet, en cinq jours, Barack Obama est passé de défenseur d'Hosni Moubarak à demandeur d'une "transition immédiate" du pouvoir en Egypte. Mais la Maison blanche assume sa position d'équilibriste.
Tout s'est joué dans la soirée de mardi. Réunis en urgence à la Maison blanche, Barack Obama et ses conseillers ont suivi les événements en Egypte. Jusqu'à lundi, Washington jouait la carte de la diplomatie, assurant son soutien à Hosni Moubarak tout en l'invitant à entendre les revendications de la rue. Après le discours du chef d'Etat égyptien, mardi soir, dans lequel il annonce qu'il renoncera au pouvoir en septembre 2011, son homologue américain a décidé de changer de position. Après un échange téléphonique de 30 minutes entre les deux hommes d'Etat, Barack Obama a demandé "une transition bien ordonnée", "pacifique" et qui "doit commencer maintenant". Une transition immédiate rejetée, mercredi midi, par Hosni Moubarak.
L'enjeu des crédits militaires
Les Etats-Unis jouent une partie serrée. Il s'agit de ménager les relations avec ses alliés du Moyen-Orient tout en restant fidèle à des "valeurs universelles" comme la démocratie et les Droits de l'homme. Au cœur des liens complexes tissés par Washington avec les acteurs de la région se trouve l'enjeu de la paix entre Israël et la Cisjordanie. L'Etat hébreu bénéficie des plus importantes aides financières et militaires données par les Etats-Unis à un pays. L'Egypte arrive juste derrière, touchant une enveloppe annuelle d'1,3 milliard de dollars.
Washington inonde d'argent les deux pays afin de garantir la paix entre eux. L'Egypte, alors seul pays arabe à avoir signé en 1979 un traité avec Israël (*), est ainsi devenue l'allié le plus sûr de Jérusalem. Cette paix –rejetée par une partie de l'opinion publique égyptienne – a été réalisée afin que l'armée israélienne se retire du Sinaï, conquis lors de la guerre des six jours, en 1967. Si Le Caire s'est bornée à des relations diplomatiques a minima, jamais cette paix n'a été remis en question, malgré les deux guerres Israël-Liban (1982 et 2006) et les deux intifada palestiniennes (1987 et 2000).
Les Frères musulmans, "le monde radical"
Mais les événements en Egypte et le changement de position de Barack Obama ont ravivé les vieilles craintes en Israël. "Les Américains viennent de faire comprendre que leur soutien inconditionnel envers leurs alliés était des plus partiel", a déclaré, amer, Shaul Mofaz, président de la commission de la défense et des affaires étrangères du Parlement. "Est-ce que les États-Unis pourraient nous abandonner?", titre en Une le quotidien Yediot Aharonot. En arrière-plan, la classe politique israélienne craint surtout l'arrivée au pouvoir des Frères musulmans égyptiens. Pour mémoire, la lutte contre la constitution d'un Etat hébreu était l'un des objectifs de l'organisation panarabe islamiste. Et même si chaque branche nationale des Frères musulmans a évolué sur le plan politique, le "problème" de la paix au Proche-Orient reste une question sensible.
Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, en est bien conscient. Mercredi après-midi, il a mis en garde contre le risque que la révolte populaire en Egypte ne débouche sur une période "d'instabilité et d'incertitude pendant de nombreuses années": "Il y a deux mondes, deux moitiés, deux visions. Celle du monde libre et celle du monde radical", a résumé le Premier ministre dans un discours à la Knesset, le Parlement israélien. Et de taper sur l'Iran qui ne s'est pourtant pas encore exprimé sur les événements récents (*): "Le régime iranien ne souhaite pas une Egypte qui défende les droits de l'Homme. Il souhaite une Egypte qui retourne au Moyen-Age, une Egypte qui devienne un autre Gaza." Une référence directe au Hamas, une des nombreuses branches des Frères musulmans.
"Garder" l'Egypte à tout prix
En clair, les dirigeants israéliens agitent le spectre d'un "régime à l'iranienne" en Egypte. En 1979, le président américain Jimmy Carter avait lâché le régime du Shah d'Iran. Un échec qui a participé à son échec à la présidentielle de 1981. Barack Obama fait face au même risque. Pour les stratèges américains, il s'agit donc de répondre à la question: peut-on lâcher Hosni Moubarak tout en "gardant" l'Egypte?
Dans cette optique, Washington a déjà avancé ses pions. Barack Obama a félicité mardi l'armée égyptienne d'avoir permis que des manifestations pacifiques aient lieu. La Maison blanche a également approché Mohammed El Baradeï, ainsi que d'autres opposants –à l'exception des partis islamistes. En cas de démission immédiate d'Hosni Moubarak, c'est le vice-président, Omar Souleiman, qui prendrait les manettes. Selon diverses sources, qui n'ont jamais été vérifiées, Omar Souleiman a participé au programme de détentions secrètes de la CIA. Les Etats-Unis ont donc encore quelques cartes dans leur jeu.
(*) Israël et la Jordanie ont ensuite signé un traité de paix en 1994.
(**) Le guide de République islamique, l'ayatollah Ali Khamenei, s'exprimera vendredi à Téhéran et devrait évoquer les questions internationales, dont la révolte en Egypte.
Gaël Vaillant – leJDD.fr
Mercredi 02 Février 2011