Avec la mesure et la lucidité qui le caractérisent, Jean-François Kahn écrit, ce lundi dans Libération : "Ne pas soutenir, ne pas applaudir l'insurrection démocratique en Egypte ou ailleurs s'apparente, même du point de vue de la laïcité, à une trahison".
Celui qui s'était opposé (avec beaucoup d'autres) à la libération par la force de l'Irak – pays qui démontre aujourd'hui, que cela plaise ou non, qu'un peuple arabo-musulman peut accéder à la démocratie – veut croire que le risque d'une récupération islamiste de la révolution en Egypte ne vaut pas les réserves émises notamment par Alain Finkielkraut quand il dit: "Je suis fasciné, mais prudent". "Diaboliser a priori toute tentative de réintégrer l'islamisme politique à un jeu démocratique exigeant confinerait à l'aveuglement", assure le sermonneur centriste. Après tout, Barack H. Obama ne dit pas autre chose quand il laisse comprendre, appliquant sa politique d'apaisement avec l'islam politique,que les Frères musulmans, mouvement d'essence totalitaire, ont un rôle à jouer dans la reconstruction de l'Egypte. Pour ma part, autant j'approuve ceux qui, en Europe, soutiennent les authentiques démocrates de Tunisie et d'Egypte, autant je redoute ces belles âmes qui, au lieu de se taire, croient malin de justifier une place à l'islamisme. Il n'a vraiment pas besoin de ce genre d'encouragements.
Rien ne tel qu'une plongée dans une manifestation pour comprendre l'essence d'un mouvement. Ils étaient moins de deux mille, samedi à Paris, à défiler sur les Grands Boulevards pour réclamer le départ d'Hosni Moubarak ainsi que "la démocratie et la dignité" en Egypte. Voici ce que j'y ai vu: un cortège majoritairement masculin, scandant surtout des slogans en arabe et brandissant des drapeaux égyptiens, palestiniens, algériens, marocains, tunisiens. Les slogans en français disaient : "Moubarak assassin, Sarkozy complice", ou encore "Gaza on ne t'oublie pas". D'innombrables autocollants "Palestine vivra" étaient arborés par la foule. A mi-cortège avaient pris place des jeunes femmes portant le voile intégral ou le tchador ainsi que des barbus. Fermant la marche, se trouvaient le Parti communiste français, le Front de gauche, le Nouveau parti anticapitaliste:bref, l'extrême gauche, mobilisée une fois encore contre le monde occidental et singulièrement Israël. En résumé, ce jours-là, des islamistes et leurs idiots utiles défilaient à Paris pour réclamer la démocratie en Egypte. Voilà pourquoi un soutien aveugle à cette "insurrection démocratique" ne va surtout pas de soi.
Ivan Rioufol