Blogosphère, poids de l’armée, violences policières, financement américain de l’opposition… Voici ce que les notes diplomatiques américaines rendues publiques par WikiLeaks disent de l’Egypte de Moubarak.
L’usage routinier de la torture
Trois notes diplomatiques américaines évoquent l’usage de la torture par la police égyptienne, devenue "une habitude". "La torture et la brutalité poilcière sont endémiques et très répandues. La police utilise des méthodes brutales notamment pour arracher des aveux à des criminels, mais aussi à des manifestants, des prisonniers politiques", lit-on dans une note de janvier 2009.
Ces pratiques seraient liées "au manque de formation, au sous-effectif et à l’absence de sanction officielle", ajoute-t-elle. Une autre note, datée de février 2010, souligne que les pires cas ont été enregistrés "dans des affaires de meurtres où la pression venue du ministère de l’Intérieur pour obtenir des aveux était très forte".
Certes, le gouvernement égyptien ne nie plus l’existence de telles dérives depuis cinq ans : 15 policiers ont même été condamnés à des peines de prison pour torture et meurtre depuis 2007, selon ces documents. Mais les autorités n’ont "pas réussi à transformer la police et les services de sécurité en institutions qui servent l’intérêt public, malgré les slogans officiels qui le prétendent. Ce sont encore des instruments du pouvoir dont la mission est de protéger le régime."
Les blogueurs égyptiens en pointe de la contestation
Parmi la dizaine de télégrammes concernant l’Egypte rendus publics par WikiLeaks, on en apprend un peu plus sur la blogosphère égyptienne… alors même qu’Internet et la téléphonie mobile ont été largement coupés ce "vendredi de colère". Ils seraient 160 000 à s’exprimer, "de l’activisme au discours élargi et à l’expression personnelle".
C’est Le Caire que Barack Obama avait choisi à l’été 2009 pour prononcer son discours à l’attention du monde arabe. Un "couronnement" pour Hosni Moubarak, allié stratégique dans la région, sous-entend Le Monde qui ajoute que les notes diplomatiques américaines dressent un portrait en filigrane du Rais.
"C’est un réaliste véritable et expérimenté, un conservateur inné et prudent qui n’a que peu de temps à consacrer à des objectifs idéalistes", lit-on. "Partout où il a vu des efforts américains [pour encourager les réformes], il pointe du doigt le chaos et la perte de stabilité qui s’en sont ensuivis."
D’après la note datée de mai 2009, l’idée que Moubarak se fait de lui-même est la suivante : "un homme fort mais juste, qui assure à son peuple les besoins essentiels. (…) Moubarak est un Egyptien classique qui hait l’extrémisme religieux et ses interférences en politique. [Il] veut épargner à son peuple les violences, que provoqueraient selon lui le fait de retirer la bride des libertés civiles et individuelles. Dans l’esprit de Moubarak, il vaut mieux laisser souffrir quelques individus plutôt que de risquer de plonger la société dans le chaos".
Les Etats-Unis et l’opposition égyptienne
Le président Moubarak, au pouvoir depuis trois décennies, est le plus proche allié arabe des Etats-Unis. Et l’armée égyptienne a bénéficié l’an dernier de subventions américaines à hauteur d’1,3 milliard de dollars. Mais ce vendredi les Etats-Unis ont choisi de faire pression sur leur partenaire régional : le président Barack Obama a réclamé des réformes politiques "concrètes" et l’arrêt des violences.
WikiLeaks révèle au sujet des relations entre les deux pays que les Etats-Unis n’ont pas seulement financé l’armée égyptienne. Ils ont aussi soutenu des organisations de promotion de la démocratie en Egypte, selon des notes publiées vendredi par le journal norvégien Aftenposten.
"Les programmes du gouvernement américain aident à établir des institutions démocratiques et à renforcer les voix d’individus en faveur d’un changement en Egypte", ajoute la note américaine. L’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID) aurait ainsi prévu de consacrer 66,5 millions de dollars en 2008 et 75 millions en 2009 à des programmes égyptiens sur la démocratie et la bonne gouvernance, selon une note de l’ambassade des Etats-Unis au Caire du 6 décembre 2007.
Voilà qui a irrité le président Moubarak, "profondément sceptique à l’égard du rôle des Etats-Unis dans la promotion de la démocratie", souligne un autre télégramme diplomatique datant du 9 octobre 2007. Son fils Gamal, souvent présenté comme son successeur désigné, n’apprécie guère non plus. Il est irritable concernant les financements américains directs en faveur de la démocratie et de la bonne gouvernance", révèle une autre note du 20 octobre 2008.
Enfin, la ministre égyptienne de la Coopération internationale Fayza Aboulnaga aurait demandé dans une lettre à l’ambassade que l’USAID cesse de financer 10 de ces organisations "au motif (qu’elles) n’ont pas été correctement enregistrées comme ONG", selon un document daté du 28 février 2008.
L’armée et Gamal Moubarak
L’armée, appelée au secours par le régime du président Hosni Moubarak, est un pilier du système égyptien. En sont issus les quatre présidents depuis la chute de la monarchie en 1952. Son attitude face à l’insurrection populaire devrait être cruciale. Cette institution est forte de 468 500 soldats d’active et 479 000 réservistes, selon le "Military Balance", publié par l’International Institute for Strategic Studies à Londres.
Secrète, l’armée égyptienne s’exprime rarement en public. Aussi les notes publiées via WikiLeaks sont-elles capitales. D’autant qu’elles montrent une évolution de la façon dont Gamal Moubarak, fils du président souvent présenté comme son successeur désigné, est perçu par l’armée.
Une note datée de mai 2007 souligne le peu d’enthousiame de la hiérarchie militaire face à la perspective de voir Gamal Moubarak, fils du président, succéder à son père. "L’appareil militaire pourrait être un obstacle crucial" à ses ambitions, écrivait l’ancien ambassadeur des Etats-Unis au Caire Francis Ricciardone.
Nomination samedi après-midi
Hosni Moubarak a créé un poste ce samedi après-midi : celui de vice-président. Il a choisi d’y nommer Omar Souleimane, le chef des services secrets, un proche. Ahmad Chafiq, ex-ministre de l’Aviation civile, quant à lui, deviendrait Premier ministre.
Du coup, d’autres noms circulent : une personnalité issue de la hiérarchie militaire, l’opposant Mohamed El-Baradei, le ministre de l’Aviation civile Ahmad Chafiq, Omar Souleimane, le chef des services secrets… En savoir plus sur les mystères de cette succession.
Mais une autre note de juillet 2009 indique que les militaires pourraient préférer l’option d’une transition du pouvoir du père au fils, dans le cadre de la Constitution, et que l’armée pourrait finalement soutenir Gamal Moubarak. Seul petit obstacle en regard de l’histoire présidentielle du pays : il n’a pas d’expérience militaire.
L’armée et l’économie égyptienne.
Par ailleurs, l’armée égyptienne, dont les capacités se sont "dégradées", doit être modernisée pour s’adapter à des menaces sécuritaires d’un nouveau type mais sa direction s’y oppose, regrettent aussi les Etats-Unis dans d’autres télégrammes révélés par WikiLeaks.
D’autres télégrammes soulignent également le poids économique de l’armée égyptienne, présente dans toutes sortes de secteurs industriels et commerciaux au travers de sociétés et organismes dirigés par des militaires, qui en font "une entreprise quasi commerciale".