François Genoud a rencontré Hitler quand il avait 17 ans. Fasciné, il a épousé les idées nazies. Avant de soutenir nationalistes algériens et poseurs de bombes du FPLP. Un nouveau livre retrace la vie mystérieuse du banquier lausannois.
La police fédérale helvétique commence à surveiller François Genoud à la fin des années 1960. Rien qu'en 1969 et 1970, le Lausannois traverse 189 fois la Suisse, se rend seize fois en Allemagne, vingt-cinq fois en France, trois fois en Grande-Bretagne, neuf fois en Italie, quatre fois en Espagne, trois fois en Libye, six fois au Liban et cinq fois en Egypte. Pourquoi? Et qui finance cela?
Presque quinze ans après les biographies de Pierre Péan et de Karl Laske, le travail du journaliste allemand Willi Winkler jette un nouveau regard sur l'incroyable vie de François Genoud. Par exemple en étayant sa collaboration avec la police fédérale helvétique dès la fin des années 1950; en détaillant son rôle d'intermédiaire dans le versement de la rançon pour le détournement d'un avion de la Lufthansa en 1972; en révélant qu'il a cofinancé la défense d'Adolf Eichmann en 1961; ou, enfin, en racontant par le menu comment il mit la main sur les droits d'auteur de dignitaires nazis dont les tantièmes continueront à être payés jusqu'en 2015!
Héritier de Goebbels
Ce dernier «scandale», comme le désigne Willi Winkler, est l'une des raisons qui l'ont poussé, il y a cinq ans, à se lancer dans une nouvelle biographie de François Genoud. En 1954, en versant 1500 Westmarks, le Lausannois réussit son premier coup, avec la publication, à Londres, de deux années de correspondance privée entre Martin Bormann et son épouse. Comme le secrétaire particulier d'Adolf Hitler s'est suicidé en 1945, les droits – septante ans après la mort – courent encore pendant quatre ans.
Quelques années plus tard, François Genoud rééditera le procédé, en rachetant les droits de deux décennies de journal intime de Joseph Goebbels, le ministre de la propagande du IIIe Reich. Aujourd'hui encore, quiconque veut citer un extrait de ces textes doit en demander l'autorisation et s'acquitter des tantièmes auprès de ses héritiers. Pour chaque tranche de dix secondes dans un documentaire diffusé l'an dernier, la télévision bavaroise a, par exemple, dû verser 3,34 euros.
Poignée de main à Hitler
Mais pour Willi Winkler, le Lausannois n'a pas fait cela pour l'argent. Juste par sympathie, ou plutôt par loyauté indéfectible aux idées de Hitler et ses sbires. Et jusqu'à sa mort, en 1996, il aura été une sorte de «nazi bénévole», comme l'écrit Willi Winkler.
La vie de Genoud a basculé alors qu'il n'avait que 17 ans. Son père, un fabriquant de papiers peints à Lausanne, avait envoyé le jeune François à Fribourg-en-Brisgau afin qu'il apprenne l'allemand et la discipline. Mais jamais il n'avait songé à un endoctrinement national-socialiste. Seulement voilà, en automne 1932, le petit Suisse romand François Genoud a pu réaliser ce qu'une majorité des jeunes Allemands de son âge n'osaient même pas imaginer: serrer la main du Führer, qui lui dira quelque chose du genre: «Votre génération construira l'Europe.» De retour en Suisse, François Genoud affiche ouvertement son engagement national-socialiste et adhère au Front national.
En 1936, un long voyage en Orient qui le mène notamment à travers les Balkans, la Turquie et l'Irak, forgera son autre passion: son attachement à la cause arabe et pour les mouvements anticolonialistes. Via sa Banque Commerciale Arabe basée à Genève, François Genoud, devenu banquier, fera transiter des fonds au FLN, qui milite pour l'indépendance de l'Algérie. Lorsque celle-ci est enfin réalisée, Genoud portera tout naturellement son attention à la cause palestinienne.
5 millions contre un 747
En février 1972, c'est par exemple lui qui, au nom du Front populaire de libération de la Palestine, enverra à la Lufthansa à Cologne une lettre exigeant 5 millions de dollars de rançon si la compagnie ne voulait pas voire exploser son Boeing 747 détourné quelques heures plus tôt. Et les 183 passagers à bord avec. La compagnie cède, les passagers et l'avion sont libérés en Jordanie, et François Genoud – fier comme un pape – s'offre des vacances avec son épouse. Il ne sera jamais inquiété…
Pourquoi? Parce qu'il a toujours su prendre garde à ne pas tomber dans l'illégalité? Parce qu'il comptait des amis hauts placés, jusqu'au directeur d'Interpol d'alors, l'allemand Paul Dickopf? Aussi minutieuse soit-elle, bien qu'elle s'appuie sur une somme de documents fraîchement déclassifiés, la passionnante biographie dressée par Willi Winkler ne parvient pas à lever l'entier du mystère autour de François Genoud.
* Willi Winkler, «Der Schattenmann. Von Goebbels zu Carlos. Das mysteriöse Leben von François Genoud», Rowohlt, Berlin 2011, 352 p. (uniquement en allemand)