INTERVIEW – Spécialiste d’al-Qaida, Mathieu Guidère, l’auteur des Nouveaux Terroristes (Autrement) explique les raisons de la prise en otage et de l’exécution de deux Français au Niger.
La France a-t-elle changé de stratégie?
Claude Guéant l’a démenti, mais force est de constater que c’est le cas. Jusqu’à présent, la France est la seule démocratie occidentale à avoir attaqué frontalement Aqmi. Je comprends cette décision, car, dès lors que les otages passent entre les mains d’un autre groupe, il n’existe quasiment aucune chance de les récupérer. Tout se joue pendant les premières vingt-quatre heures. Il faut savoir que ce type d’action va se répéter. La France essaie de négocier. Qu’est-ce que cela veut dire? Le gouvernement français cherche sur place des intermédiaires expérimentés payés pour entrer en contact avec d’autres intermédiaires, etc. C’est tout. Par ailleurs, ce n’est pas à un ministre d’État ou au président Sarkozy de discuter avec Aqmi. Et le ministère des Affaires étrangères n’a pas mission à négocier avec les terroristes. Ce qu’il faut, c’est un négociateur, un médiateur spécialisé, assisté d’experts et connaissant bien le terrain. C’est indispensable, parce que l’intervention de Ben Laden, qui a revendiqué les rapts et félicité les ravisseurs en octobre dernier, a changé la donne. On ne négocie plus, comme avant, avec de simples brigands. Dans l’imaginaire islamiste, la France a acquis le statut des États-Unis et les Français sont devenus une cible prioritaire. La France est dans une impasse puisque, comme on le voit, toute intervention militaire enclenche une logique de vengeance. Aqmi vient de perdre, semble-t-il, trois nouveaux combattants. Cela signifie qu’il lui faudra trouver cinq nouveaux otages pour venger ceux qu’il considère comme des martyrs.
Les ressortissants français doivent-ils quitter le Sahel?
Je ne pense pas. La lutte contre le terrorisme passe par le développement. Si les ONG quittent la région, le vide sera aussitôt comblé par les islamistes qui occupent déjà d’une certaine façon le terrain social. Ce qu’il faut, c’est distinguer l’action de l’État français et celle de la société civile. Bien sûr, il est nécessaire de coopérer, de se concerter, mais les ONG doivent faire entendre leur propre voix et montrer leur différence. C’est d’autant plus vrai que, depuis six mois, Aqmi diabolise la France en diffusant de fausses informations, une propagande haineuse pour faire croire qu’elle est à l’origine de tous les maux de l’Afrique, qu’elle pille ses richesses, etc. C’est très grave. Nous sommes aussi dans une guerre de communication avec le mouvement al-Qaida.
10/01/2011