Lors d’un symposium catholique-juif à Buenos-Aires il y a quelques années (2004), une déclaration officielle de l’Eglise catholique-romaine marquait une étape nouvelle et significative dans la lutte globale contre l’antisémitisme. Pratiquement occultée par les médias occidentaux, il s’agit cependant ici d’une clarification importante dans les relations controversées entre Eglise catholique et Peuple juif, surtout en tenant compte du contexte international qui se développe depuis des années. Les interlocuteurs en présence étaient d’une part la Commission pontificale pour les Relations avec le Judaïsme, avec le Cardinal Walter Kasper délégué pontifical, et d’autre part le Comité juif international pour le Dialogue interreligieux, sous la Présidence du Congrès juif mondial. Cinquante trois personnalités catholiques et juives provenant de 26 pays ont donc travaillé ensemble sur des dossiers d’actualité, avec le souci de définir des objectifs communs.
Il en est ressorti une déclaration finale rejetant clairement toute forme directe ou indirecte d’antisémitisme, y compris – et cela n’est pas anodin au regard de certains slogans médiatisés – l’antisionisme, qui est toujours plus prétexte à banaliser la haine envers les Juifs en diabolisant Israël. Cela n’interdit pas toute critique mesurée du gouvernement israélien et de sa politique, comme il en est pour d’autres états. Mais ce qui est visé ici, c’est la mise en cause automatique de la légitimité reconnue à l’Etat hébreu par l’ONU en 1948, ainsi que la présentation unilatérale des événements du conflit palestino-israélien, propre à certains milieux idéologiques, laïques ou chrétiens. Pour les organisateurs de ce Forum, dénoncer l’antisionisme comme une variante de l’antisémitisme a véritablement été un moment historique: « L’Eglise catholique reconnaît dans l’antisionisme une agression non seulement contre les Juifs, mais contre le Peuple juif en tant que tel ».
Mais le symposium de Buenos-Aires ne s’est pas limité à des débats conclus par une déclaration faisant figure de scoop. Le Père Patrick Desbois, secrétaire du Comité épiscopal français : « Nous sommes passés d’un dialogue à une véritable coopération sociale, basée sur l’héritage commun du Mont Sinaï ». Il est vrai qu’un centre social de secours aux déshérités de Buenos Aires fonctionne déjà, géré conjointement par Caritas et une Organisation caritative juive. D’autres expériences du même type existent également dans les Territoires sous Autorité palestinienne, en Israël, et au Kosovo. D’autres projets sont en cours pour que Juifs et Chrétiens se mettent ensemble au service des plus pauvres.
A une prise de position dénonçant l’antisémitisme et l’antisionisme s’est donc ajouté un engagement commun très concret contre les fléaux de la pauvreté et de la discrimination sociale. Autre volet de la déclaration : le terrorisme. Au Proche-Orient, des organisations se sont spécialisées dans l’attaque de civils, envoyant des kamikazes se faire exploser au nom d’une cause. Le colloque de Buenos Aires l’a rappelé : « Le terrorisme est un péché contre l’Homme et contre Dieu ». Il est clair que le terrorisme est injustifiable par lui-même, mais celui qui s’exerce prétendument au nom d’un dieu est encore plus répugnant.Globalement, on peut dire que cette déclaration catholique, selon laquelle l’antisionisme équivaut à l’antisémitisme, n’est pas sans rappeler la prise de position de l’ONU en 1991 : l’Assemblée abrogeait alors solennellement un texte onusien de 1975 assimilant (par diverses manipulations idéologiques) le sionisme au racisme. Koffi Annan avait d’ailleurs qualifié cet étrange texte de 1975 de « lamentable manifestation d’antisémitisme* ».
* « antisémitisme » : mot inventé dans les années 1870 par le publiciste allemand antijuif Wilhelm MARR ; « antisémitisme » ne signifie pas hostilité contre les Sémites en général, dont les Arabes font partie. Il s’agit bien de la haine envers les seuls Juifs, ciblés dans l’acception « raciale » et dans le contexte de l’époque.
Par ailleurs, Alain René Arbez, prêtre délégué aux relations avec le judaïsme, Genève, souligne la pertinence de la déclaration épiscopale suisse au regard des dérives antisémites actuelles, sensibles également dans des milieux chrétiens. Il s’insurge ainsi contre le fait que l’idéologique puisse l’emporter sur le théologique et estime que ces perspectives devraient davantage contribuer au rapprochement des chrétiens et des juifs. S’il existe des juifs adversaires d’Israël qui montrent le mauvais exemple, il existe aussi des chrétiens qui ont une forte tendance à l’amnésie spirituelle, ce qui est dommageable de part et d’autre pour la défense de valeurs essentielles issues de l’héritage biblique qui nous est commun.
Lors du jubilé de l’an 2000, temps de « purification de la mémoire » voulu par Jean-Paul II, les évêques suisses ont saisi l’occasion de rappeler quelques fondements incontournables des relations entre catholiques et juifs. En 1992, ils avaient déjà attiré l’attention des chrétiens sur les réels dangers de l’antisémitisme qui se manifeste de nouveau sous diverses formes, des plus outrancières aux plus banalisées. On a pu constater combien la version la plus masquée est souvent celle de l’antisionisme, grandissante depuis 30 ans dans les milieux tiers-mondistes et altermondialistes. Or les leçons du passé nous incitent à oser transgresser le politiquement correct d’aujourd’hui malgré la caution médiatique dont il se pare: à l’époque du national-socialisme, des voix trop peu nombreuses s’étaient élevées en Suisse pour dénoncer les discriminations conduisant à l’extermination progressive des Juifs. Pourtant, en 1935, Mgr Aloïs Scheiwiler, évêque de St Gall, faisait cette déclaration exemplaire : « Nous devons constamment protester contre la persécution des peuples, en particulier celle des Juifs, et ceci non seulement par esprit humanitaire ou par amour du prochain, mais surtout en vertu des liens étroits et racines communes entre judaïsme et christianisme ».
Aujourd’hui, à la lumière du passé, les évêques suisses ont estimé que l’antijudaïsme renaissant doit être combattu sur le terrain théologique. « La responsabilité chrétienne et l’expérience historique nous amènent à mettre en garde contre des jugements non fondés, contre toute forme de polémique ouverte ou cachée, quelle qu’elle soit, à l’encontre du peuple hébreu ». « Nous prions instamment tous ceux qui sont chargés de la prédication, de l’enseignement de la religion et de l’histoire, de ne donner matière à aucune réaction démagogique antijuive et de s’abstenir de toute accusation ». « Plus personne n’oserait affirmer aujourd’hui que les Juifs ont été punis parce qu’ils ont crucifié le Christ il y a 2000 ans! En fait, Jésus fut condamné par la plus haute autorité administrative païenne et romaine de la province de Judée, seule compétente pour toute condamnation à mort ». Jésus lui-même, Marie, Joseph et tous les apôtres ont dans la foi juive leurs racines, leur environnement religieux, et ils vivaient de cette foi.
C’est pour cette raison que les Evangiles et autres écrits du Nouveau Testament ne peuvent se comprendre sans l’Ancien Testament. Nous croyons que l’Eglise est liée fraternellement par grâce au Peuple de l’Alliance et que par le Christ elle est incorporée à cette Alliance. L’alliance de Dieu dans le sang de Jésus Christ a comme prémices l’alliance de Dieu avec Israël. Lorsque l’Eglise parle de l’alliance de Dieu avec elle, elle parle en même temps de l’alliance de Dieu avec Israël! Sans la première alliance avec Israël, il n’y aurait pas de nouvelle alliance; celle-là n’est pas abolie par celle-ci, au contraire. Alliance et élection appartiennent au noyau central de la foi et de la conscience du peuple juif. L’élection d’Israël et les promesses qu’elle entraîne sont le fondement pour la foi chrétienne de l’alliance divine en Jésus Christ qui représente le Dieu d’Israël ici-bas. Israël demeure, comme l’exprime l’apôtre Paul, racine dont l’Eglise est issue et qu’elle ne peut renier. Nous appelons les fidèles à maintenir dans toute sa vitalité ce lien intime entre Israël et l’Eglise, et à l’exprimer aussi dans la liturgie par une attention approfondie aux lectures de l’Ancien Testament.
Cf. « Considérer le peuple juif comme un peuple de Dieu qui nous est apparenté et uni ». Extraits significatifs de la déclaration exprimée par la Conférence des Evêques suisses, sous la signature de Mgr Amédée GRAB, le 14.04.2000.