Les manifestations inséparablement propalestiniennes et anti-israéliennes de masse, observables au cours des années 2000-2010, en France et dans de nombreux pays européens (ainsi qu’aux États-Unis et au Canada), ne se réduisent certes pas à des expressions politisées de la haine des Juifs. Il va de soi que tous les manifestants propalestiniens ne sauraient être, pris individuellement, considérés comme des judéophobes convaincus, et que leurs protestations peuvent être motivées par une authentique compassion pour les victimes palestiniennes du conflit. Le problème vient de ce que ces manifestants sincères eux-mêmes ne descendent dans la rue que d’une façon sélective : on ne les voit jamais exprimer une compassion pour les victimes israéliennes, ni manifester contre les attaques terroristes ayant fait des victimes israéliennes. En outre, le simple fait que, dans ces mêmes manifestations où l’on peut reconnaître une certaine hétérogénéité idéologique, puissent régulièrement être scandés ou arborés d’une façon simultanée des slogans tels que « Paix en Palestine ! », « Stop au génocide des Palestiniens », « Stop au terrorisme juif hitlérien ! », « Sionistes assassins », « Juifs au four » et « Mort aux Juifs ! » 3, montre que l’expression de la haine antijuive s’y est banalisée.
À considérer l’évolution du discours judéophobe depuis les années 1970, on constate que la grande nouveauté idéologique en la matière réside dans le fait que la haine des Juifs s’exprime désormais dans la langue de la « lutte contre le racisme » ou de la « défense des droits de l’homme ». Un pseudo-antiracisme est devenu le véhicule discursif privilégié de la nouvelle judéophobie, c’est-à-dire de l’antisionisme radical ou absolu.
Israël démonisé
L’une des plus significatives manifestations internationales du pseudo-antiracisme visant le sionisme et Israël aura été la première « Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance », organisée par l’ONU à Durban (Afrique du Sud) du 31 août au 8 septembre 2001, quelques jours donc avant les attentats antiaméricains du 11-Septembre4. La corruption idéologique de la défense des droits de l’homme et de la lutte contre le racisme, détournés et instrumentalisées par les promoteurs d’un néo-tiers-mondisme mâtiné d’islamisme, s’est révélée à travers le déchaînement de haine contre Israël et l’Occident qui marqua cette prétendue « Conférence mondiale contre le racisme ».
Ce qui s’est passé à Durban, où des milliers d’ONG ont déversé leur haine, a montré que la démonisation « antiraciste » d’Israël et du « sionisme » restait le principal geste rituel des nouveaux judéophobes. Mais l’accusation de « racisme » véhiculant une série d’autres accusations diabolisantes et criminalisantes, qui culminent dans celle d’extermination et de génocide, une nouvelle figure du Juif comme ennemi absolu a été construite. Condamner l’État d’Israël comme « État raciste », en l’assimilant à l’État nazi ou au régime sud-africain d’apartheid, c’est le vouer à la destruction. On ne discute pas avec l’ennemi absolu, absolument haïssable, on l’élimine physiquement. La nouvelle propagande antijuive a précisément pour objectif de préparer le terrain idéologique et culturel pour rendre acceptable l’élimination de l’État juif.
Depuis le début des années 1980, en particulier depuis l’invasion israélienne du Liban et les massacres de Sabra et Chatila (été 1982) – commis par les Phalanges chrétiennes et abusivement attribués en propre aux Israéliens -, suivis de l’exploitation qu’en ont fait les propagandes du monde arabo-musulman, l’image d’Israël n’a cessé de se dégrader dans l’opinion européenne jusqu’à la fin des années 2000, avec une nette accélération à partir de la seconde Intifada, lancée fin septembre 2000.
Pour en donner une idée, on peut se référer aux résultats du sondage intitulé « L’Irak et la paix dans le monde », commandé par la Commission européenne dans le cadre de l’Eurobaromètre et réalisé à la mi-octobre 2003 dans les quinze États membres de l’Union européenne, sur un échantillon de 7 515 personnes. Ce sondage, rendu public le 3 novembre 2003, révèle qu’Israël est considéré par 59% des Européens comme « une menace pour la paix dans le monde », ce qui le place en tête des pays jugés belligènes, devant les États-Unis, l’Iran et la Corée du Nord, ces trois pays, estimés dangereux par 53% des personnes interrogées, occupant la deuxième place à égalité. Cette catégorisation négative d’Israël rencontre une forte adhésion aux Pays-Bas (74%), en Autriche (69%), au Luxembourg (66%), en Allemagne (65%), au Danemark (64%), en Belgique (63%), en Irlande (62%) et en Grèce (61%). La France, avec un rejet s’élevant à 55% des personnes interrogées, se situe entre l’Italie (48%) et l’Espagne (56%).
Voilà qui montre la pénétration dans l’opinion européenne de l’une des représentations « antisionistes » les plus diffusées après ce que Léon Poliakov appelait « le tournant de la guerre des Six Jours » : Israël belliciste (et/ou impérialiste), voire Israël « cause de la Troisième Guerre mondiale ». Dans le sondage de la BBC publié le 19 avril 2010, Israël, avec en moyenne 50% d’opinions négatives (pour 19% d’opinions positives), fait partie du groupe des pays les plus rejetés, après l’Iran (56% d’opinions négatives, pour 15% d’opinions positives), le Pakistan (51%, pour 16% d’opinions positives) et la Corée du Nord (48%, pour 17% d’opinions positives).
L’influence d’Israël est jugée négative, selon un ordre décroissant, par l’Égypte (92%), la Turquie (77%), l’Allemagne (68%), le Brésil (61%), l’Espagne (60%), la Thaïlande (59%), les Philippines (58%), la France (57%) et l’Indonésie (56%). L’influence d’Israël n’est jugée positive que par les États-Unis (40%, pour 31 d’opinions négatives) et le Kenya (39%, pour 34% d’opinions négatives). L’efficacité de la propagande antisioniste et israélophobe peut ainsi être évaluée sur la base d’enquêtes d’opinion aux résultats convergents.
Un modèle de l’antisionisme radical comme nouvelle forme de la judéophobie
Les manifestations anti-israéliennes de masse, comme les critiques permanentes et hyperboliques lancées contre Israël, illustrent le principe « deux poids, deux mesures » (« double standard »), dont l’accusation de « réaction » ou « riposte disproportionnée » est l’une des illustrations les plus courantes5. Cette pratique systématique de la mauvaise foi, dès qu’il s’agit de l’État juif, conduit à la condamnation unilatérale d’Israël, indépendamment de toute analyse des faits. Elle constitue une méthode de diabolisation, visant à justifier notamment l’application de mesures de boycott généralisé d’Israël, ainsi traité comme un État raciste et criminel, assimilable au Troisième Reich ou au régime sud-africain d’apartheid.
La nazification d’Israël est le préalable obligé des appels au boycott polymorphe, visant d’une façon scandaleusement discriminatoire le seul État démocratique du Proche-Orient, coupable de se défendre contre les attaques permanentes de groupes islamo-terroristes dont l’objectif déclaré est la destruction de l’État juif. Dans un article publié en février 2003, « Anti-Semitism in 3 D », Natan Sharansky, à l’époque ministre israélien des Affaires de la Diaspora et de Jérusalem, a défini ce qu’il appelle le « test des 3 D », qui, sur la base de critères précis, est censé permettre de « distinguer la critique légitime d’Israël de l’antisémitisme », c’est-à-dire de l’antisionisme radical6. Le premier D est le test de la diabolisation [demonization], laquelle revient à traiter l’État juif comme l’incarnation du mal. Le deuxième D est le test du deux poids deux mesures [double standard] : « Aujourd’hui, nous devons nous demander si la critique d’Israël est faite de manière sélective.
En d’autres termes, des comportements semblables, de la part d’autres gouvernements, donnent-ils lieu à la même critique, ou y a-t-il deux poids deux mesures dans l’appréciation ? » Le troisième D est le test de la délégitimation : il implique de déterminer si le droit à l’existence de l’État juif est reconnu ou nié, ou si le droit du peuple juif à vivre dans un État-nation souverain est reconnu ou non.
Pour clarifier la terminologie qui ne cesse d’être obscurcie par l’effet des polémiques, il convient en effet de se donner une définition de l’antisionisme radical ou absolu dénuée d’ambiguïté. Il importe en effet de le distinguer clairement des formes démocratiquement légitimes de critique de la politique menée par tel ou tel gouvernement israélien. Abordé dans sa dimension idéologico-politique, l’antisionisme radical se reconnaît à son argumentation, dont la finalité est de légitimer la destruction d’Israël, en banalisant l’assimilation polémique d’Israël à un « État raciste », « colonialiste » et « criminel », qu’il est dès lors justifié de boycotter à tous les niveaux – la destruction étant susceptible de s’accomplir par la force des armes, ou bien par une voie indirecte, qu’il s’agisse de la création d’un État binational ou du retour de tous les « réfugiés » palestiniens (descendance comprise) sur le territoire israélien.
Chez les antisionistes radicaux, l’objectif de destruction finale de l’État juif peut ne pas être totalement conscient, ni clairement affirmé. Dans tous les cas, cependant, l’élimination d’Israël apparaît comme la conséquence logique d’une argumentation diabolisante dirigée contre Israël et qui, condamnant systématiquement les décisions et les actions politiques de l’État juif, aboutit à faire d’Israël un État en trop, le seul État au monde à être ainsi traité7. L’antisionisme radical postule donc que les Juifs n’ont pas le droit de se constituer en communauté nationale dotée d’un territoire et d’un toit étatique. Le peuple juif est ainsi discriminé : il est le seul peuple auquel est nié le droit à l’existence stato-nationale.
L’antisionisme radical représente la dernière figure historique prise par la haine des Juifs idéologiquement élaborée, configuration idéologique de longue durée que j’ai proposé d’appeler « judéophobie » (plutôt qu’« antisémitisme », terme mal formé8). Dans ma perspective, le terme « judéophobie » désigne une catégorie descriptive transhistorique. La « nouvelle judéophobie » désigne donc l’antisionisme radical, inconditionnel ou absolu, tel qu’il s’est constitué sur la triple base du nationalisme arabe, du nationalisme palestinien et de l’islamisme jihadiste, réactivant d’anciens stéréotypes antijuifs d’origine européenne (meurtre rituel, conspiration, manipulations financières, impérialisme, etc.) non sans en fabriquer de nouveaux (racisme, apartheid, génocide, etc.), pour devenir une configuration idéologique mobilisatrice par elle-même dans le dernier tiers du XXe siècle, au cours duquel elle s’est mondialisée.
Forgé dans le cadre de la guerre arabo-musulmane contre Israël sur la base d’emprunts aux diverses formes européennes d’antisémitisme adaptés aux représentations antijuives éparses dans le Coran et les hadîths ? donc soumis à une « islamisation » ?, l’antisionisme radical est revenu au sein du monde occidental dans les fourgons de la propagande palestinienne, pour mobiliser principalement l’extrême gauche et l’extrême droite, mais aussi, avec plus ou moins d’intensité, toutes les gauches et certaines mouvances de droite. C’est par la voie du propalestinisme inconditionnel, devenue une néo-religion de salut, que s’est produite la renaissance contemporaine de la haine antijuive.
Le sens des manifestations israélophobes
Ce qui est déterminant, dans les motivations des manifestants anti-israéliens ou « antisionistes », ce n’est pas tant la qualité « palestinienne » de la victime supposée que la qualité « israélienne », « sioniste » ou « juive » du coupable désigné. Un agresseur supposé n’indigne et ne mobilise contre lui que s’il est reconnu comme « sioniste ». Prenons un exemple, pour illustrer la pratique du « deux poids, deux mesures ». Le 26 mars 2010, un sous-marin nord-coréen a tiré une torpille contre une corvette sud-coréenne, qui a coulé. Dénuée de toute justification, l’attaque nord-coréenne a fait 46 morts parmi les marins de la corvette sud-coréenne. Or, aucune campagne d’indignation internationale n’a été lancée, aucune manifestation de masse n’a été organisée hors de la Corée du Sud, les journaux n’ont publié que fort peu d’éditoriaux dénonçant l’agression inqualifiable, et les intellectuels engagés, si prompts à réagir contre Israël, ont gardé le silence.
Aucun Stéphane Hessel n’est descendu dans la rue pour s’indigner avec véhémence devant les caméras de télévision. Deux mois plus tard surgit dans l’espace médiatique l’affaire de la « Flottille » dite « humanitaire ». Le contraste est saisissant dans la différence de traitement. Ce qui frappe aussitôt tout observateur des médias est l’unanimisme dans la condamnation morale d’Israël depuis que l’intervention israélienne du 31 mai 2010 contre un groupe d’islamistes radicaux turcs accompagnés de « pacifistes » et d’« humanitaires » pro-palestiniens leur servant d’alibis, est devenue l’affaire de la « Flottille de la liberté », avec ses « martyrs » mis en avant par la propagande des islamistes du Hamas et exploités à des fins géopolitiques par le gouvernement turc d’obédience islamiste, soucieux d’apparaître comme le « champion » de la cause palestinienne. On peut y voir une nouvelle preuve du conformisme, du suivisme et du politiquement correct qui règnent dans l’espace médiatique. Et bien sûr aussi une illustration parfaite du « deux poids, deux mesures » dans le traitement médiatique d’Israël.
À ces réserves près, les manifestations anti-israéliennes de masse, qui se sont multipliées depuis le début de la seconde Intifada, peuvent être interprétées comme des indices socialement visibles, parmi d’autres, de la puissante vague mondiale de judéophobie apparue dans la période post-nazie, et plus particulièrement dans les années 1990 et 20009. En Europe, la France fait partie des pays les plus touchés par la vague. Mais l’on doit reconnaître que les violences antijuives se seraient vraisemblablement intensifiées au point de menacer la paix civile si les pouvoirs publics n’avaient pas pris des mesures rigoureuses, à partir du printemps 2002, pour endiguer le phénomène. Or, le système médiatique français tend à faire silence sur cette spécificité négative, ou à minimiser les incidents antijuifs.
Nombreux sont les éditorialistes ou les intellectuels en vue qui répètent de temps à autre le refrain bien connu : la cible principale du racisme ou de la xénophobie à la française se serait transformée, le Juif aurait été remplacé par l’Arabe ou le musulman, voire « l’immigré ». Ou encore, l’on observe régulièrement que des personnalités plus ou moins bien intentionnées, mais toujours mal informées, affirment publiquement qu’« il n’y a pas d’antisémitisme en France », ou encore que l’antisémitisme, en France, est « en baisse », voire « en voie de disparition ».
Certains ajoutent qu’il est temps d’« en finir » avec « le chantage à l’antisémitisme » 10. Tel est l’argument principal des antijuifs déclarés comme des antisionistes radicaux, qui cherchent ainsi à se présenter comme les victimes d’une « censure » insupportable dans une société démocratique. En exigeant une totale liberté de parole, même dans les appels à la haine et à la violence contre Israël, les « sionistes » ou les Juifs (tous suspectés d’être des « sionistes »), ils jouent la carte de la liberté d’expression sans limites, faisant mine d’oublier que, même dans les démocraties libérales/pluralistes, il existe une limite, qui est fixée par la loi. Mais l’on saisit bien leur objectif : arriver à faire croire que l’accusation d’« antisémitisme » n’est qu’une manière perverse de discréditer, sans raison, un individu désireux de « lutter contre l’injustice faite aux Palestiniens ». Ici encore, le « deux poids, deux mesures » fonctionne : la plupart de ceux qui dénoncent avec indignation le « chantage à l’antisémitisme » dénoncent avec véhémence et conviction l’« islamophobie » des Européens, et des Français en particulier, ou le « génocide des Palestiniens ». Transparence des mauvaises raisons dont s’habille la mauvaise foi.
Retour au réel : données statistiques
Ces thèses optimistes annonçant le déclin ou la fin prochaine de l’antisémitisme, assurément réconfortantes aux yeux de certains militants engagés dans le combat idéologique contre Israël, sont toutes fausses, au regard des statistiques disponibles des faits antijuifs relevés en France au cours des années 1998-2010. L’analyse de l’évolution des actes ou des faits antijuifs (violences et menaces confondues), recensés en France de 1998 à 2009, montre une augmentation globale de la judéophobie depuis le début des années 2000, avec des « pics » en 2000, 2002, 2004 et 200911. Le plus simple est de considérer l’évolution des totaux annuels des faits antijuifs (actions violentes et menaces) : 1998 : 81, 1999 : 82, 2000 : 744, 2001 : 219, 2002 : 936, 2003 : 601, 2004 : 974, 2005 : 508, 2006 : 571, 2007 : 402, 2008 : 397, 2009 : 631 au cours du 1er semestre 2009, dont 113 violents (chiffrage provisoire), et 704 de janvier à octobre 2009.
Le 13 décembre 2009, le ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux, a précisé que les « actes antisémites » avaient plus que doublé au cours des neuf premiers mois de 2009 par rapport à la même période de l’année précédente (350 faits, dont 99 actions et 251 menaces), avec 704 « faits antisémites » recensés, dont 123 actions et 581 menaces, qu’il s’agisse d’agressions verbales, de dégradations de bâtiments ou d’inscriptions12. Dans son rapport annuel publié le 4 février 2010, le SPCJ (Service de Protection de la Communauté juive) fait état de 832 « actes antisémites » en France en 2009, dont 354 pour le seul mois de janvier, période de l’opération « Plomb durci » dans la bande de Gaza. En 2008, le SPCJ en avait enregistré 474 (pour 402 en 2007)13.
Le rapport annuel de la CNCDH mentionne pour l’année 2009 un total de 815 faits antijuifs, dont 172 actions violentes et 643 menaces. L’année 2009 s’inscrit donc bien dans la série des « pics » atteints en 2000, 2002 et 2004, en France comme dans nombre d’autres pays occidentaux. Un rapport officiel présenté le 24 janvier 2010 au Conseil des ministres israélien estime que le nombre des actes antijuifs dans le monde en 2009 – comprenant aussi bien des actions violentes contre des Juifs que des proclamations visant à « délégitimer l’existence de l’État d’Israël »15 ? est le plus important depuis dix ans, « notamment en France, en Grande-Bretagne et aux États-Unis »16. Le 20 octobre 2010, le SPCJ a rendu public les statistiques des actes antijuifs en France durant le seul 1er trimestre 2010 : 33 actions et 105 menaces, soit un total de 138 faits antijuifs17. Chiffres montrant, si l’on met entre parenthèses le pic de janvier 2009, une relative stabilité à un haut niveau des attitudes et des comportements hostiles aux Juifs.
Judéophobie d’en bas, judéophobie d’en haut
La violence judéophobe est inséparable de la propagande et de l’endoctrinement « antisionistes » mis en place par divers réseaux sur le territoire français comme ailleurs (en Europe ou aux États-Unis), liés soit aux milieux d’extrême gauche, soit aux diverses mouvances islamistes. À cet égard, la corruption idéologique de l’antiracisme et l’instrumentalisation de ce dernier à des fins antijuives représente un processus dangereux pour la vie démocratique. Certaines organisations dites antiracistes réduisent leur lutte contre le racisme à la dénonciation d’une « islamophobie » qui reste à définir précisément – et n’a guère servi qu’à interdire ou discréditer les critiques de l’islam politique -, et surtout à la condamnation diabolisante du « sionisme » et d’Israël.
L’illustration la plus caricaturale de cette dérive idéologique est fournie par le MRAP, création des milieux staliniens français, qui, d’une façon significative, a modifié, à la fin des années 1970, sa dénomination, tout en conservant le même acronyme : le « Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et pour la paix » s’est rebaptisé « Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples ». La suppression du mot « antisémitisme » dans le sigle de cette officine pseudo-antiraciste en dévoile la véritable nature. De telles agences de propagande et de délation pervertissent le débat démocratique en France en organisant des campagnes de diffamation ou des chasses aux sorcières contre diverses personnalités du monde intellectuel et politique.
De nouvelles élites antijuives se sont ainsi formées dans la plupart des démocraties occidentales, en même temps qu’un néo-antiracisme antijuif s’est constitué. Il s’agit, pour ceux qui observent et analysent ces phénomènes inquiétants, de mieux comprendre les relations entre la judéophobie sociétale « d’en bas » et la judéophobie des élites, celle qui se diffuse désormais, portée par les mobilisations propalestiniennes et israélophobes, chez les intellectuels, dans l’espace médiatique et dans la culture politique.
© P.-A. Taguieff
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Notes
[1] Philosophe, politologue et historien des idées, directeur de recherche au CNRS, Paris, Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF).
2 Cet article reprend, en les actualisant, des analyses exposées dans mon dernier livre : La Nouvelle Propagande antijuive. Du symbole al-Dura aux rumeurs de Gaza, Paris, PUF, 2010, pp. 57-59, 183, 433-436.
3 Pour les slogans de ce type inscrits sur des banderoles ou des pancartes, voir, in Pierre-André Taguieff, Prêcheurs de haine. Traversée de la judéophobie planétaire (Paris, Mille et une nuits, 2004), le cahier iconographique (non paginé) qui contient nombre de photos prises au cours de manifestations pro-palestiniennes/anti-israéliennes dans le monde entre 2000 et 2003. Pour de nombreux autres exemples, voir id., La Nouvelle Propagande antijuive, op. cit.
4 Pierre-André Taguieff, La Nouvelle Judéophobie, op. cit., pp. 130-131, 140-145 ; id., Prêcheurs de haine, op. cit., pp. 336 sq.
5 Sur ce traitement discriminatoire d’Israël, voir Pierre-André Taguieff, La Nouvelle Propagande antijuive, op. cit., pp. 39 sq.
6 Natan Sharansky, « Anti-Semitism in 3 D », The Jerusalem Post, 23 février 2004.
7 Voir Pierre-André Taguieff, La Judéophobie des Modernes, op. cit., pp. 495-496.
8 Pour une analyse approfondie des questions lexicologiques et sémantiques posées par les désignations de la haine des Juifs et leurs usages, voir Pierre-André Taguieff, Prêcheurs de haine, op. cit., pp. 18 sq., 137-200 ; id., La Judéophobie des Modernes, op. cit., pp. 83 sq., 127-131, 166-171, 175 sq., 247 sq.
9 Pour une analyse de cette grande vague antijuive des années 2000, voir Pierre-André Taguieff, Prêcheurs de haine, op. cit. ; id., La Judéophobie des Modernes. Des Lumières au Jihad mondial, Paris, Odile Jacob, 2008, pp. 9-80, 335-496 ; Walter Laqueur, The Changing Face of Antisemitism: From Ancient Times to the Present Day, Oxford et New York, Oxford University Press, 2006, pp. 125-208 ; Robert S. Wistrich, A Lethal Obession : Anti-Semitism from Antiquity to the Global Jihad, New York, Random House, 2010, en partic. pp. 600 sq.
10 Voir par exemple : « Dieudonné victime d’un incroyable chantage à l’antisémitisme », 20 février 2004, http://soutiendieudo.free.fr/article.php3?id_article=59.
11 Voir Pierre-André Taguieff, La Judéophobie des Modernes, op. cit., pp. 376 sq. ; CNCDH, La Lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Année 2008, Paris, La Documentation française, 2009, p. 11, 19, 25-26, 34-41 ; Service de Protection de la Communauté Juive (données chiffrées, 1er semestre 2009).
12 Voir AFP, 13 décembre 2009 : « Racisme : hausse des actes antisémites, nomination d’un préfet coordonnateur ».
13 « France : hausse des actes antisémites en 2009 », Guysen.International.News, 4 février 2010 ; « Le S.P.C.J. publie les chiffres de l’antisémitisme pour 2009 : augmentation et banalisation de l’antisémitisme », 5 février 2010. Voir sur le site du CRIF.
14 CNCDH, La Lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Année 2009, Paris, La Documentation française, 2010, pp. 28, 30-31.
15 Rappelons qu’il s’agit là de l’un des critères retenus par l’EUMC, dans sa « définition de travail » (mars 2005) pour définir le « nouvel antisémitisme ». Voir Pierre-André Taguieff, La Nouvelle Propagande antijuive, op. cit., pp. 60-61. Natan Sharansky l’a également retenu dans son modèle de la stigmatisation antijuive d’Israël ; voir P.-A. Taguieff, ibid., p. 431, note 1.
16 Site lemonde.fr, 25 janvier 2010.
17 http://www.spcj.org/index.php?action=antisemitisme.
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Mis en ligne le 2 novembre 2010, par Menahem Macina, sur le site france-israel.org