Leni Riefenstahl n’est plus de ce monde. Sans quoi elle aurait peut-être pu trouver l’inspiration pour un nouveau film du style de ceux qui ont fait sa sombre gloire en observant la visite que le Führer iranien Ahmadinejad a effectué au Liban ces trois derniers jours. Tout y était ou presque : les miliciens en uniforme défilant au pas de l’oie et faisant le célèbre salut qui autrefois était ponctué du cri « Sieg Heil », les diatribes antisémites à intonations génocidaires, les foules enthousiastes.
Je ne sais si, en 1935 ou 1938, les journalistes de France et de quelques autres pays ont procédé à des commentaires inquiets, j’en doute : en 2010, ce qui a dominé fut la retenue, voire la docilité. En écoutant les journaux télévisés, je n’ai pu m’empêcher de penser au slogan d’une marque de disques autrefois : « la voix de son maître ». J’ai entendu en effet répétés docilement les mots d’imprécation du Führer iranien comme s’il s’agissait de mots logiques et normaux. En lisant les titres des journaux, j’ai eu le sentiment qu’il avait dû y avoir des titres comparables à ceux-là dans les journaux de Berlin au temps du Troisième Reich ou, à Paris, dans Je suis partout sous la plume de Robert Brasillach ou de Lucien Rebatet. Lire « Ahmadinejad salue la résistance des Libanais au régime sioniste » valait, me suis-je dit, mieux que d’être aveugle sans doute, mais par instants j’ai regretté d’avoir encore des yeux pour voir. D’autres phrases ont pu sonner plus vrai, tout en valant largement leur poids d’imbécillité croupie. Celle-ci par exemple : « La visite officielle du président iranien au Liban couronne un incontestable succès régional pour la République islamique ». Quelques commentateurs ont parlé, du bout des lèvres, d’ « affaiblissement de l’influence des Etats-Unis » dans la région en y décelant le « résultat de l’épuisement de l’armée américaine dans des conflits vains ». Le nom de George Bush n’a pas été prononcé, mais il aurait été difficile de ne pas l’apercevoir en filigrane.
Ce qui aurait dû être énoncé, s’il existait encore des analystes géopolitiques dignes de ce nom en ce pays, et s’ils avaient voix au chapitre, c’est que ce à quoi on a assisté là, fut l’un des résultats les plus évidents et les plus accablants de ce que j’appelle la « doctrine Obama ».
Les Etats-Unis sont affaiblis, effectivement, et au Proche-Orient en particulier, mais c’est le résultat de décisions volontaires et délibérées : Obama et son entourage ont voulu un désengagement des Etats-Unis, ont tout fait pour abandonner l’Irak, comme ils font tout pour abandonner l’Afghanistan. Ils ont, depuis près de deux ans, laissé le terrain libre à l’Iran, qui a pu continuer à avancer vers l’arme atomique, accentuer son soutien au Hamas et au Hezbollah, et pratiquer vis-à-vis du Liban une forme d’Anschluss qui ne dit pas son nom. Ils ont entériné le glissement de la Turquie vers des orientations ouvertement islamistes. Ils ont adopté une attitude d’apaisement pusillanime vis-à-vis de la Syrie. Pour compenser l’entérinement d’une hégémonie iranienne sur la région, ils ont offert, voici quelques semaines, à l’Arabie Saoudite, un contrat de fourniture d’armement éminemment suspect, puisqu’il concerne, entre autres, des armes permettant des actions d’offensive terrestre dont on voit mal comment elles pourraient être utilisées autrement que pour une éventuelle attaque contre un pays qui n’est pas l’Iran.
Après avoir tenté, pendant dix-huit mois, de déstabiliser et de faire tomber le gouvernement de ce pays, Israël, ils ont entraîné ce même gouvernement dans une énième reprise de cette imposture sanglante appelée « processus de paix », ce qui a condamné ce gouvernement à entrer dans de vaines palabres dont l’échec était assuré avant même le commencement, et l’a empêché de se consacrer au problème majeur qui se pose à lui : les intentions meurtrières du Führer de Téhéran, précisément.
Dans deux semaines, les élections de mi-mandat vont avoir lieu aux Etats-Unis. Elles se traduiront très vraisemblablement par une victoire républicaine. Ce sera le début d’une relation conflictuelle, et d’un bras de fer entre le Congrès et la présidence à Washington. L’alternance effective ne pourra venir avant 2012. En attendant, on peut d’ores et déjà très sérieusement se demander où en sera le Proche-Orient, et où en sera le monde, si Obama et son entourage ne sont pas mis, autant que faire se peut, hors d’état de nuire.
En ayant permis le renforcement de l’Iran et son passage à l’hégémonie régionale, en ayant isolé Israël, et lié derrière le dos les mains de son gouvernement, en s’étant conduit comme ils se sont conduits vis-à-vis de l’Irak, de l’Afghanistan, de la Turquie, mais aussi du Liban, où les populations qui ne sont pas shiites ne peuvent que constater leur propre déréliction, Obama et son entourage ont, de fait, commis une succession de crimes qui pourraient conduire à une guerre régionale aux répercussions planétaires, et dont ils seront tenus pour responsables lorsque viendra le moment de l’histoire, et des jugements qu’elle implique.
Pire que Carter ? Oui, Obama est décidément bien pire que Carter. Carter a laissé, voici trente ans, l’Iran passer aux mains des assassins khomeynistes. Obama, par ressentiment anti-occidental, anti-américain et « anti-sioniste », semble prêt à laisser advenir une sorte de Quatrième Reich, auquel le Führer de Téhéran paraît aspirer.
Au moment de la réalisation des films de Leni Riefenstahl, la guerre n’était pas déclarée. La guerre n’est pas déclarée aujourd’hui non plus. Mais quand les assassins préparent leurs couteaux, ce n’est en général pas pour en admirer esthétiquement le tranchant.
Les dirigeants israéliens, le peuple d’Israël savent à quoi s’en tenir, je le sais. Et ils ont, heureusement, les moyens de se défendre.
Le peuple américain et le mouvement conservateur, qui s’assemblent dans les Tea parties, savent aussi à quoi s’en tenir. Et, malgré Obama, les Etats-Unis disposent toujours d’une armée efficace et sans pareille.
En France et en d’autres endroits en Europe, les journalistes semblent n’avoir rien vu, rien entendu, qui les pousse à l’anxiété. Ils continuent à délivrer d’innombrables doses d’anesthésiants, à des populations qui donnent l’apparence de vouloir ne rien voir et ne rien entendre.
En France, il est vrai, il y a plus grave : le risque de voir l’âge légal de la retraite passer à soixante-deux ans. Et que puis-je dire ? Le passage à la retraite à soixante-deux ans est effectivement beaucoup plus inquiétant que les diatribes du Führer de Téhéran, et tellement plus inquiétant que la remontée de l’antisémitisme, de propos à intentions génocidaires vis-à-vis du peuple juif, et de poussées islamistes. En 1936, en France, on fêtait dans la joie le Front populaire et les congés payés, pendant ce temps là, en Allemagne… Mais s’il avait fallu penser au nazisme…
Guy Millière