Sur le chemin de la liberté Israel 1947 – 1949 par Aschkel
II.2 La refondation d’une société juive indépendante et le sens de l’autodéfense
L‘histoire de l’Etat d’Israel ne commence pas le 15 mai 1948.
Dès avril, les institutions démocratiques juives sont en place, en conformité avec les règles internationales, et leur existence se situe dans la continuité des efforts constants entrepris avant même les années 1920 par les autorités juives.
La revendication juive incarnée par le sionisme ne manifeste pas une volonté de rupture avec l’espace oriental. Ben Gourion envisageait lui-même d’étudier le droit ottoman.
Ce même souci de respect de la légalité se retrouve dès lors que les Britanniques prirent le relais politique sur la région.
Si la guerre d’indépendance ne revêt pas la même signification selon que l’on se place du point de vue juif, britannique ou arabe, elle n’en constitue pas moins, dans l’histoire moderne, un exemple original d’auto-défense et d’auto-détermination.
* * * * *
Il faut percevoir l’organisation de l’auto-défense juive dans toutes ses dimensions novatrices et quasi révolutionnaires : après des siècles de mise à la merci et de persécutions dans le monde chrétien ou islamique, des communautés juives organisait tant bien que mal leur propre protection et leur propre défense.
Les images des victimes des progroms d’Europe de l’Est ou de Palestine, tout au long des années 1920, les attentats, les pillages, les destructions, mais aussi les complicités et participations des polices censées les protéger, ont permis la prise de conscience collective que le sort et la survie du peuple juif ne pouvait dorénavant plus dépendre du bon vouloir des puissants, et qu’ils n‘étaient pas destinés à être une variable d’ajustement de politiques arbitraires où les dirigeants orientaient la vindicte populaire sur les minorités sans moyen de se défendre.
Dans le cadre d’une insécurité collective croissante, les groupes d’auto-défense vont ainsi se structurer et petit à petit s’unifier, entre les années 1920 et 1930, en s’efforçant de répondre à des impératifs pragmatique – assurer la protection contre les émeutes et progroms, assurer la pérennité des villages, des récoltes, des vergers, tous construits par les pionniers au prix de sacrifices et d’une détermination exemplaire – avant de porter sur la finalité politique de la défense juive – construire à terme un Etat capable de résister aux entreprises d’annihilation –.
Qui plus est, le yichouv ne pouvait disposait d’aucun Etat dont il sera l’émanation et qui pourrait organiser sa défense, à la différence des populations arabes dont les pays voisins se considéraient solidaires dès les années 1920, tant par parenté idéologique panarabe que par la présence en Palestine de populations entières venues de ces pays voisins et plus lointains.
Il s’agissait tout d’abord d’assurer la protection des habitations isolées, des villages et des voies de communication, puis de prendre le relais de la puissance mandataire qui, à partir des années 1936, ne parvenait plus à contrôler le pays dans sa totalité, avant de progressivement jeter les fondements d’une défense militaire, dès lors que la confrontation devenait inéluctable.
Mais à la veille de la guerre d’indépendance, seule une partie de la Haganah (le Palma’h, soit moins de 2 000 hommes) formait une troupe entraînée, prête à des opérations d’envergure, tandis que le reste n’avait jusque là participé qu’à des opérations de surveillance et protection.
Globalement, ces unités d’auto-défense incluent les gafirim (policiers), les notrim (les gardes), une police de protection (les night squads), une petite troupe entraînée (fosh, remplacée en 1939 par le hish) et un bureau de centralisation des informations permettant d’anticiper les attaques (le shai).
L’avancée de Rommel et de l’Afrikakorps nazi, qui bénéficiait de sympathies avérées et nombreuses dans le camp arabe,
incitera les Britanniques à privilégier le soutien logistique de la Haganah qui suggérait l’organisation d’une guérilla en cas d’invasion nazie. Ce n’est que le 3 juillet 1944 que le gouvernement anglais autorise l’établissement d’une brigade juive, créée officiellement quelques mois plus tard, le 20 septembre 1944, et regroupant 5 000 volontaires juifs répartis en trois bataillons d’infanterie.
Mais à peine la guerre finie, les armes furent confisquées.
Ainsi, il est intéressant de remarquer qu’entre 1936 et 1945, les troupes britanniques vont saisir plus de 25 fois plus d’armes du côté arabe que du côté juif (521 contre 13 210), ce qui atteste clairement de la vulnérabilité duyichouv. Et les principales positions militaires, ainsi que les stocks d’armes en Palestine mandataire seront systématiquement remis entre 1947 et 1948 à la Légion arabe transjordanienne ou aux forces arabes.
Dans la mesure où seule était autorisée la défense dans le cadre des groupes restreints de police organisés par la puissance mandataire, les pionniers juifs vont subir la politique répressive des Britanniques avec autant de sévérité que les miliciens arabes, ce qui rappelait la précarité de leur situation.


L’insurrection xénophobe lancée par Izzeddin el Qassam en 1935 s’inscrit dans la lignée des mouvements insurrectionnels arabo-musulmans comme l’ont connu plus tôt l’Iraq (1920-1921) ou la Syrie (1920-1925) – et non le Liban, libéré de la suzeraineté religieuse islamique –.
Si la lutte pour la réunification arabe sera dirigée contre les occupants Britanniques – qui les avaient privés de l’unification politique au sortir de la Première Guerre mondiale –, le ressentiment immédiat s’exprimera contre les Juifs : villageois vulnérables représentés par aucune puissance coloniale, vivant dans une situation précaire, et anciens dominés dont l’indépendance et le liberté ne s’intégraient aucunement dans la représentation nationaliste arabe du monde et des relations interconfessionnelles.
Le nationalisme arabe des élites bourgeoises et religieuses de Palestine se fonde en partie dans le rejet et le déni complets de l’altérité juive, qui s’illustrent notamment encore aujourd’hui dans les politiques de destructions systématiques du patrimoine historique juif en Terre Sainte (synagogues de Jéricho, le Mur occidental ou le Caveau des Patriarches interdits aux Juifs, réécriture de l’histoire, déjudaïsation de la Terre Sainte).
La différence fondamentale entre la revendication autonomiste juive et l’appel unitaire arabe réside précisément dans le référent collectif : la terre d’Israel comme référent identitaire juif, l’umma, collectivité des musulmans pour les Arabes. La Charte du Hamas énonce toujours explicitement cette identification à la communauté islamique dans son ensemble et rejette fondamentalement ainsi l’idée d’un « nationalisme » palestinien indépendant de son référent panislamique.
Il apparaît d’autant plus clairement que la « Palestine mandataire » ne formait pas dans les années précédant la guerre de 1947-1949 ni une société arabe unitaire à conscience collective spécifique, ni encore moins une entité arabe pré-étatique disposant d’une assise territoriale définie et structurée.
Les factions politiques arabes émergent à partir des années 1930 avec comme revendications la fin de la tutelle britannique et la fin de toute prétention indépendantiste juive. Les lignes de fracture politiques sont celles qui séparent les clans de l’élite arabe de l’époque.
Il y a d’une part les factions favorables au clan Husseini : le Parti arabe en Palestine, établi en 1935 par Amin al Husseini pour contrer l’influence de la famille Nashashibi à la tête de la mairie de Jérusalem, le Parti du congrès de la jeunesse, fondé en 1932 par al Ghusayn, grand propriétaire terrien de Ramla, le Parti de la réforme, à l’initiative d’al Khalidi,
Le parti Istiqlal est fondé par Awni abd al Hadi, éduqué à Beirut et co-organisateur du congrès nationaliste arabe de Paris en 1913, secretaire de Faisal Ier, et représente la tentation hachémite. Il déclare en 1937 à la Commission Peel que
« La palestine n’existe pas, c’est un terme créé par les sionistes. Notre pays appartient depuis des siècles à la Syrie ».

En 1948, il se placera finalement sous l’égide du Gouvernement de Toute la Palestine dirigé par les Husseini.
Le Bloc national est créé à Naplouse à l’instigation d’Abdel Latif Salah pour représenter les propriétaires anti-husseini.
Quant au parti communiste palestinien, il suivra les consignes de Moscou, passant de l’acceptation du Plan de partage à l’idée d’un Etat unique dès lors que l’URSS saisit qu’elle ne pourrait se saisir des élites juives de l’Etat d’Israel comme levier contre les occidentaux.
Quant au Parti de la défense nationale il est ouvertement panarabe et se prononce pour la suprématie arabe sans partage sur le Proche-Orient.
Les élites arabes vivent en grande partie coupées de la réalité sociale du pays : féodalisme persistant dans les campagnes, culture urbaine panarabe, écart de richesses.

L’éclatement politique des factions arabes se caractérise donc par une certaine volatilité, qui s’explique par les jeux d’alliance, contre-alliances etreconfigurations entre élites et grands-propriétaires. Anwar Nusseibeh déclare ainsi en 1948 que :
« de toute évidence, ils [les dirigeants arabes] voient l’aventure palestinienne [de 1948] comme une victoire militaire facile pour les Arabes, et le seul point qui les préoccupe est de s’attribuer la victoire escomptée. Ils sont déterminés à en exclure les Arabes de Palestine quelqu’en soit le prix. »
Ainsi, la constitution d’une vie civile arabe en Palestine se heurte aux rivalités de factions et au manque de représentativité de la population qui, quant à elle, vit très souvent en interaction avec le yichouv.
D’où l’émergence possible d’un nationalisme exogène, autoritaire et violentsous l’égide d’Arafat le Cairote et de Shuqeiri le Syrien, visant à l’unification collective par le biais d’un projet d’anéantissement de l’indépendance juive, et ce avant la Guerre des Six-Jours.
Historiquement, les attaques arabes ont contribué au développement de groupes de défense juifs tels que la Haganah et favorisé l’organisation logistique de la défense juive, indépendamment de la puissance mandataire.
Ces attaques ont créé un fossé entre les communautés là où une cohabitation était non seulement envisageable mais réelle sur le terrain.

Indirectement, l’insurrection arabe a également conduit les Britanniques à décider du Livre Blanc de 1939, qui empêchait tout sauvetage des Juifs européens, alors même que les persécutions prenaient un tournant funeste. Cela eut pour effet que l’énergie des communautés juives fut canalisée par le seul objectif de l’indépendance.
A suivre…
Une terre et des hommes – Israël – Pays pionnier – 1ère partie
De Jérusalem à Safed – 3ème partie
Du Kenneret à Tel Aviv en passant par Haifa -4è partie