Voici un très bel article de S.S.COHEN TANUGi qui tombe à propos !
Lorsque certains détruisent plutôt qu’ils ne bâtissent, ou encore certains autres qui blâment ceux qui construisent chez eux et s’ingèrent dans leurs affaires.
La commande de l’Etat est une priorité, car elle réunit autour de l’œuvre de nombreux acteurs de la société, l’histoire et l’imaginaire des collectivités. Il faut donc trouver des budgets nécessaires au projet des sociétés. Il faut comprendre ce qui se passe dans une ville dans laquelle intervient une forme plastique et pour cela il faut que l’artiste soit au plus près du projet architectural. » (1)
La commande de l’Etat permet à une ville
de prendre un essor différent. Il est évident que sans les commandes du pouvoir religieux et de la dynastie issue de la banque – des Médicis – la ville de Florence ne serait pas devenue un des centres politiques les plus importants d’Italie au XVe siècle et ne serait pas restée un centre touristique international des plus florissants au XXIe siècle. Les Médicis ont fait appel à des architectes, comme Brunelleschi ou Alberti pour le Palais Rucellai et pour Santa Maria Novella. Entre 1451 et 1478, « 30 nouveaux palais construits, 21 loggias privées, 50 nouvelles places, 32 000 nouvelles propriétés agricoles, et 800 villas. » (2)
Du XVe siècle à aujourd’hui, des générations se sont arrêtées dans la ville, attirées par sa beauté et son renom, lui permettant un essor économique qu’elle doit uniquement à ses artistes, sculpteurs et architectes. Les cités possédant un grand patrimoine artistique n’ont jamais déchu. Aujourd’hui encore, elles se flattent d’une véritable autonomie et contribuent au bien-être économique de leurs citoyens.
De Gour à Gour
L’Etat hébreu débute son langage architectural d’une manière sobre. Ses origines sont modestes, bien loin du faste permis par la riche politique des Médicis. Il doit se contenter d’une tour : sous mandat britannique, l’Etat se construit selon le mode architectural dit « Homa Oumigdal » (enceinte équipée d’une tour), système d’implantation lancé en 1936 et que l’on attribue à Shlomo Gour (1913 – 2000). Puis il accède à l’architecture, entre autres, de l’extraordinaire Université hébraïque de Jérusalem, dont Shlomo Gour, toujours lui, fut l’un des concepteurs.
Les architectes et les urbanistes sont responsables du bien être des populations. De la conception d’une société, de ses espaces vitaux, de ses relations avec les populations environnantes.
Quand un journaliste pose la question du plan de la ville à Leitersdorf qui dessina Maalé Adoumim, ce dernier lui répond : « C’est une zone montagneuse, sa morphologie fait penser à une main ouverte. J’ai placé le centre de la ville au milieu de la paume et les différents quartiers dans les doigts. » (3)
De l’Opéra de Tel-Aviv au musée de Holon
A Holon, on est passé de cette première architecture défensive (enceinte et tour) de 1936 au musée contemporain de Holon de 2009 dont on doit la beauté plastique et sculpturale au jeune architecte israélien, Ron Arad.
Ron Arad est un plasticien et designer né dans les années 1950, formé à Bezalel puis en Angleterre. Il travaille les masses comme autant de plans incurvés. La sculpture d’un Brancusi se retrouve dans ses œuvres. Comme celle du sculpteur anglais, Henry Moore, où le mouvement d’un plan à l’autre passe par la courbe.
Avec le nouveau musée de Holon au sud de Tel-Aviv, le travail d’architecte d’Arad s’exprime par un rythme élégant de courbes et contre courbes, ocre et oranger.
Centre de culture et d’éducation, l’architecture spectaculaire du musée s’intègre harmonieusement au système urbain. Arad, dont le nom évoque l’émotion due à un pilote absent et attendu, a signé l’architecture de l’espace d’entrée et de l’auditorium de l’Opéra de Tel-Aviv. Là aussi, le foyer, qui abrite des expositions temporaires, représente une courbe, une vague de bronze, de bois, d’une élégance lumineuse, en contraste avec l’espace géométrique extérieur. (4)
L’Opéra fait partie de l’ensemble culturel de Tel-Aviv, dessiné en 1994 par l’architecte israélien, Yaacov Rechter. La municipalité de Tel-Aviv a ainsi su faire, depuis le boulevard Saül jusqu’à la rue Léonard de Vinci, un lieu d’urbanisme culturel, unissant en un mouvement, la bibliothèque Ariella, le Musée d’art moderne de la ville, où se situait jusqu’en 2007 le célèbre restaurant Giacometti, le Centre d’art et de théâtre, dont fait partie l’Opéra et le Théâtre Caméri. Ce complexe culturel dans le blanc de la ville et la simplicité des formes, sans s’élever massivement en tours stratégiques, est d’une calme beauté.
Urbanisme et bien-être
La volonté d’intégrer un projet monumental à une ville qui refuse tout système monumental était périlleuse. La réussite est complète. La beauté architecturale, la réussite fonctionnelle de l’Opéra, du Théâtre Caméri, du musée et de la bibliothèque entourant un espace de sculptures en plein- air fait que, quelle que soit la comédie que l’on vient voir, l’opéra que l’on vient entendre, le livre que l’on vient chercher, l’architecture a déjà gagné le cœur de spectateur.
Parmi les premières obligations de l’Etat : transformer un « camp militaire » en foyer. La prochaine sera peut-être de permettre à la région d’être le cœur d’une qualité de vie harmonieuse entre multiples conceptions de l’architecture pour la ville et son environnement : créer des ports, planter des forêts, faire fleurir des déserts, percer des canaux bordés de tamaris traversant le Néguev, afin d’abreuver le sud, de la mer à la mer.
Tous les habitants des différentes nations devraient pouvoir vivre les différentes possibilités architecturales du Proche- Orient, comme autant de « cités Etats » en paix l’une avec l’autre grâce à un urbanisme intelligent. Chaque « cité » possède la possibilité d’investir un champ artistique. Il n’est pas nécessaire d’avoir « la charrue d’une main et l’épée, de l’autre ».
En dépit de l’utilisation nécessaire des moyens militaires, il serait à suggérer rapidement la réévaluation du patrimoine d’œuvres et d’artistes du Proche-Orient. Car ce patrimoine serait capable de reformuler une économie moderne et d’offrir aux espaces industrialisés un contre-point vigoureux pour une conception harmonieuse de la région. Permettre aux citoyens de vivre de la terre, de l’eau, des fruits et surtout de leur génie serait la bénédiction de la région.
« Il apparaît que les dégradations mêmes et les dérangements de la civilisation matérielle ont stimulé la marche en avant de la culture. Tout d’abord en modifiant sensiblement la géographie de la prospérité et donc en établissant dans des lieux nouveaux les bases de l’activité intellectuelle et esthétique.
Qu’il s’agisse de l’achat d’un objet d’art ou de l’établissement d’un contrat de commande à un artiste – et même lorsque le Mécénat s’exerce par une collectivité. »
Au tournant majeur de sa carrière, Giotto s’est trouvé en face à face avec Jacopo Gaetani, ou avec Enrico Scrovegni. L’artiste est presque toujours au service d’un seul homme. » (5)
par Shoshan Saskia Cohen Tanugi
Aschkel.info
(1) Olivier Kaeppelin, interviewé par Catherine Millet (Art Press) septembre 2005.
(2) Berti, Luciano – Florence – Editore Savero Becoci – 1983.
(3) Entretien réalisé dans les locaux de Leitersdorf à Tel-Aviv en avril 2002 par Eran Tamir, publié dans « bâtir une ville à partir de rien » – Edition de l’Imprimeur.
(4) Les expositions sont sous la responsabilité de Udi Rosenwein. Tél : 050 638 57 27 begin_of_the_skype_highlighting 050 638 57 27 end_of_the_skype_highlighting.
(5) Duby, George, M-A, Fondement d’un nouvel humanisme – Editions Skira – 1984,
p.11-12 – « Florence avait Médicis, Versailles, Louis XIV, le Temple, Salomon, puis Ezra, El Aqsa, Ez Zahir… »